Questionnaire 

Tim Maul



Quels sont les films qui ont marqué...
    1. Votre enfance ?

Je suis né en 1951, donc tous les films Disney traumatisants : Blanche-Neige et les Sept Nains, Cendrillon et le terrifiant Darby O'Gill et les Farfadets et son fantôme hurlant. Le Magicien d’Oz aussi sur une tv noir et blanc et qui restait troublant malgré tout.


2. Votre adolescence

Adolescent, je faisais des petits boulots étranges pour me payer des disques et aller au cinéma. J’aimais beaucoup les comédies anglaises comme Le Knack... et comment l'avoir de Richard Lester et Morgan de Karel Reisz, et les films des Beatles. The Darien Playhouse montrait des films d’auteur, je me souviens avoir été impressionné par Blow-Up d’Antonioni (essentiel), Belle de Jour de Bunuel (beurk !), Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli, Easy Rider de Dennis Hopper, Le Lauréat de Mike Nichols, Reflets dans un œil d'or de John Huston, Rosemary’s Baby de Roman Polanski, If de Lindsay Anderson, et pour clore la décennie, Macadam Cowboy de John Schlesinger.


3. Votre vie d’adulte

Je me suis installé à New-York en 1969 pour étudier à la School of Visual Arts, au moment où la décadence, la drogue et le glam étaient en plein boum dans le milieu culturel underground. J’étais sans un sous, je vivais dans un appartement miteux mais j’ai réussi à voir :
Trash de Paul Morrissey
Orange mécanique de Stanley Kubrick (deux fois en une semaine),
Performance de Donald Cammell et Nicolas Roeg
One + One de Jean-Luc Godard
Gimme Shelter de David et Albert Maysles (deux fois le même mois)
La Randonnée de Nicolas Roeg
— Les films Super 8 de John Baldesarri
Satyricon de Fellini
Deliverance de John Boorman
Love de Ken Russell
Tommy de Ken Russell
Klute d’Alan J. Pakula
The Boy Friend de Ken Russell.
Wavelength de Michael Snow (énorme influence)
Spiral Jetty de Robert Smithson
Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci
Le Conformiste de Bernardo Bertolucci
Le Messager de Joseph Losey
Le Parrain (avec mon père dans le Connecticut, il a aimé le film).

Racontez-nous un souvenir de cinéma.

1. En 1969 un concert de rock pour lequel j’avais des billets a été annulé au sud de Manhattan (Moby Grape), j’ai donc marché jusqu’à Time Square et vu 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick avec mon ami Tom qui a détesté. C’était en Cinemascope, totalement immersif, j’étais bouleversé, j’en ai parlé pendant des heures après la projection.

2. En 1971 Vito Acconci a dit à notre classe d’allé voir Spiral Jetty de Robert Smithson à la Galerie Dwan. J’étais fasciné. Un film projeté dans une galerie d’art, qui l’eût cru !

3. Mon ami Gus Van Sant nous a invités à une projection privée de Drugstore Cowboy dans une salle sans prétention de Times Square. Quelques uns de ses amis de la Rhode Island School of Design étaient là et tout le monde était subjugué par le fait qu’il ait réussi à faire un film commercial  tout en maintenant son propre style. On a descendu la 5e Avenue à pied, tous ensemble, pour fêter ça, discutant, excités par ce que nous venions de voir. C’est un beau souvenir de New-York.


Citez un film que vous associez… 

À une musique : 

Memo From Turner dans Performance de Donald Cammell et Nicolas Roeg. Je l’écoute encore pour danser, c’est comme si Mick Jagger et William Burroughs avaient écrit une chanson ensemble.

À une couleur :

— Facile, Blue de Derek Jarman. Aussi, certaines scènes de  Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant particulièrement celle avec Helen Mirren dans une salle blanche.  

À un objet :

— Ça ne peut qu’être ce truc qui brille et après lequel tout le monde court en Terre du Milieu…

À un lieu :

Le parc de Blow Up et le bruit que les feuilles y font…





Quels sont les cinéastes qui vous inspirent ?

Gus Van Sant parce qu’il parvient à faire du cinéma commercial et populaire en parallèle de projets plus personnels et exigeants. Tout ce qui est créatif implique une prise de risque. Et Gus en a pris beaucoup !



Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?
La mort de quelqu’un, d’un animal, ou tout ce qu’il y a d’un peu sentimental comme la révolte de Belfast dans Au Nom du Père. Dans un cours de cinéma j’ai montré La Jetée au moment où je m’occupais de mes parents mourants. Même si je connaissais déjà bien le film j’ai fondu en larmes et j’ai dû attendre dans les toilettes de me calmer. Ça ne m’était jamais arrivé.


Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ?
Son économie. Le poids financier que requiert la fabrication d’un film. Je suis aussi très impressionné quand un film vous donne la sensation d’un lieu. J’aime aussi quand on oublie le jeu des acteurs.

Qu’est-ce qui vous fait rire au cinéma ?

Je ne crois pas que je ris au cinéma, je dois sourire plutôt. Le slapstick, l’absurdité. Chaplin dans la porte tambour, les premiers films de Woody Allen. La scène dans Prends l’oseille et tire-toi quand Woody essaie de braquer une  banque avec une phrase illisible notée sur un bout de papier.


Dans quels films aimeriez-vous habiter ?

Dans Quatre Garçons dans le vent de Richard Lester. Ça serait tellement cool d’être un membre des Beatles en 1964 (un temps seulement). Je perdrais du poids à trop être poursuivi par les filles mais je mourrais sans doute d’un cancer des poumons.

Le cinéma laisse-t-il son empreinte sur votre travail ? De quelle façon ?

À la marge. J’utilise un appareil photo qui donc capture et arrête le temps. Mon travail se présente souvent sous forme de séquences de deux images ou plus. C’est peut-être une forme primitive de cinéma.

Si vous faisiez un film ça ressemblerait à quoi ?

 Je n’ai jamais entretenu ce fantasme. C’est un tel investissement, mental, physique, financier. Mais ça pourrait ressembler à un livre ou une pièce avec des photos au mur. Victor Burgin a dit qu’une exposition était l’inverse du cinéma parce que le spectateur bouge et les images restent fixes.



Pourquoi le cinéma est-il un art si populaire à votre avis ?

C’est une échappatoire. Ça transcende les classes sociales. N’importe quel membre du public, peu importe son âge, peut devenir un critique de cinéma, ou un « connaisseur » simplement en se rendant au cinéma ou en le regardant chez lui en streaming.


Que vous fait vivre le cinéma que d’autres formes d’art ne font pas ?

Je reste très attaché aux images fixes. Mais j’aime me rendre au cinéma, c’est un rendez-vous que je peux consacrer à la rêverie.

Tim Maul est né en 1951 à Stamford, Connecticut. Il vit et travaille à New York. Après des études à la New-York School of Visual Arts (SVA) entre 1969 et 1973, il travaille la performance, la photographie et la vidéo. En 1976, il participe à la deuxième exposition du MOMA P.S.1 intitulée « A Month of Sunday ». Entre 1975 et 1981, il collabore avec Davidson Gigliotti et avec Jean Dupuy à la réalisation d’une série de vidéo-performances. À partir des années 80, la photographie devient son médium de prédilection et il s’en sert, comme une écriture pour construire des narrations. Tim Maul est également critique et collabore régulièrement avec les revues Art in America, CIRCA Dublin/Belfast, et Afterart.

︎︎︎ Galerie Florence Loewy

crédits images : Tim Maul / Courtesy de l’artiste & Galerie Florence Loewy, Paris