Temps magique  

Pham Thiên Ân



Quelles sont les premières grandes idées à l’origine du film ?

Les premiers éléments correspondent au début du film. J’ai commencé à imaginer le film en buvant un verre avec des amis dans un bar. C’était donc la scène d’ouverture dans le bar à Saïgon avec l’accident de moto.


Vos deux courts-métrages, Stay awake, be ready et The Mute, pourraient être des scènes de L'Arbre aux papillons d'or. Les réaliser était-il un moyen pour vous de préparer ce premier long-métrage ?

Oui absolument. Avant de faire ce film j’avais déjà le scénario de L'Arbre aux papillons d'or en tête et je voulais tester mes capacités, voir si j’étais capable de faire des films.

Le scénario ressemble-t-il à un scénario classique ou avez-vous expérimenté une forme d’écriture plus singulière et personnelle ?

Je ne suis pas passé par une école de cinéma et je n’ai jamais appris à écrire un scénario classique. J’ai d’abord choisi les lieux de tournage, j’ai ensuite écrit des scènes, puis j’ai terminé par les dialogues.


On a l’impression que votre écriture est très visuelle, qu’elle passe plus par des images mentales que par un récit linéaire couché sur papier.

Oui je fonctionne de façon très visuelle. Par exemple, pour la scène avec l’ancienne amoureuse, je n’ai écrit les dialogues que quelques jours avant le tournage.

Donc le film s’est écrit au fur et à mesure du tournage ?

Je devais savoir un scénario à peu prés complet pour demander les autorisations de tournage et trouver les financements mais il a évolué de 70 à 80% durant le tournage. 


Le film est composé de longs plans-séquences qui lui confèrent cette précision, cet état de concentration extrême dans lequel il plonge aussi le spectateur. Quelle place avez-vous laissé aux imprévus sur le tournage ? Par exemple, dans la scène où il va acheter à manger une fois qu’il a retrouvé son neveu à l’hôpital, l’arrière-plan est-il mis en scène ou bien est-il purement documentaire ?

Pour chaque scène j’avais imaginé les lieux, la lumière, la position et les déplacements des personnages, les mouvements de caméra… Mais en réalité une fois sur le tournage il y a eu beaucoup de changements et j’ai dû adapter le film aux situations nouvelles qui se présentaient à nous. Pour cette scène j’avais imaginé qu’il allait se rendre d’un point A à un point B. Mais on ne pouvait pas fabriquer une scène totalement artificielle devant l’hôpital donc il fallait composer avec la réalité de la rue. Le plus difficile c’était d’attendre la pluie. 

En général les films qui ont recours aux plans-séquences donnent l’impression d’une quête de maîtrise un peu tape à l'oeil. Ce qui fait que vos plans-séquences sont si beaux c’est leur discrétion. Vous semblez laisser entrer la vie dans le cadre sans sombrer dans l’obsession de la perfection.

Oui. J’ai compris ça en faisant Stay awake, be ready. En acceptant les imprévus, les plans étaient beaucoup plus intéressants.


Avez-vous des règles que vous vous imposez dans la création ? 

Oui, pour chaque scène j’avais quelques principes et lignes directrices. Mais finalement, la règle qui prévaut - qui n'en est pas une mais qui va dicter tous les choix faits par la suite - c'est le choix des lieux, fait bien en amont.


Le travail sur le temps est très fort dans le film, on bascule dans une temporalité floue et mouvante, entre rêve et réalité. Au début du film on se retrouve projeté dans un mariage. Soudain l’image se fige et on comprend alors qu’on était dans le film de mariage que Thien est en train de monter. Alors que dans le reste du film le temps s’étire et se délite, ici vous le figez.

Je voulais raconter l’opposition que j’ai vécue entre mon rythme de vie et la vitesse des vidéos de mariage que je réalisais avant de faire du cinéma. Le montage est trompeur. Avec le cinéma c’est différent, on peut prendre le temps, c’est un autre rythme.


C’est aussi un moment où on voit le cinéma, on voit les outils, on sort un peu du film. Je pense aussi au plan des buffles qui voient la caméra et s’arrêtent. Ce mouvement qui se fige, c’est, là encore, comme un instant hors du film, ou en tout cas une image qui ne cache pas son artificialité. On regarde les buffles face à l’équipe de tournage qu’on imagine derrière la caméra.

L’image des buffles provient de l’imagination du personnage, elle est un produit de sa divagation mentale, elle n’avait donc pas besoin d’être réaliste.

Le film est très lié au spirituel, au religieux et à la magie. Pourquoi ces choses sont-elles si cinégéniques à votre avis ?

Je pense que le cinéma c’est un peu comme la magie : on peut transformer ce qui est impossible en ce qui est possible. C’est un monde où l’on peut questionner le passé et faire des rêves au futur.


Quelles sont vos références ?

La première personne qui m’a influencé c’est David Copperfield. J’aime beaucoup ses mises en scène, sa capacité à nous faire croire à l’impossible. Sinon pour ce qui est du cinéma j’aime beaucoup les films de Michael Haneke, de Dreyer pour toutes les questions laissées en suspens à la fin de ses films, et les films de Béla Tarr et Tarkovsky pour les mondes qu’ils inventent.


Dans votre film il y a une douceur qu’il n’y a pas chez Haneke notamment. Est-ce que ça vient selon vous de la relation entre Thien et son neveu ?

Quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, je regardais beaucoup de films hollywoodiens et ce qui me touchait c’était l’émotion. Mais je voulais trouver le juste milieu entre une émotion efficace et une étrangeté un peu magique.  

Entretien réalisé par Lucas Charrier le 12.09.2023 à Paris.
Traduction : Madame Huong Papin 

Pham Thiên Ân est un réalisateur, producteur et scénariste né en 1989 au Vietnam. Après des études en informatique à Ho Chi Minh, il prend conscience de son intérêt pour le cinéma et la réalisation de films. Ses  courts métrages The Mute et Stay Awake, Be Ready ont été présentés dans de nombreux festivals de films à travers le monde.

︎︎︎  Pham Thiên Ân