Questionnaire
Pedro Geraldo
Comment le cinéma change-t-il votre rapport au monde ?
Le cinéma fait de moi une personne plus ouverte, plus présente dans la vie quotidienne. Il transforme profondément mon attention aux choses, à la nature et aux personnes.
Quelle place donnez-vous aux fantômes dans votre travail ?
Tout tourne autour d’eux. La caméra de cinéma est le meilleur outil pour capter les fantômes. Ils errent, attendent, regardent.
Comment avez-vous envisagé le rapport entre le son et l’image dans votre film ?
J’aime le mélange entre le son direct (totalement lié à l’image) et le son hors-champ (pas du tout connecté à elle). La plupart du temps, dans mon processus, l’image et le son sont développés séparément. À la fin, cela ne signifie pas qu’ils deviennent un tout : il est fréquent que l’image et le son soient en quelque sorte en conflit ou désynchronisés dans leurs intentions.
Comment décririez-vous votre travail en quelques mots ?
De manière concrète, ce sont des films qui parlent de personnages et des paysages qu’ils habitent. De manière plus abstraite, ils explorent la dissolution du corps et l’effacement des contours autour de l’idée du “moi”.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Être profondément affecté par les expériences de la vie et par le fait d’être face aux autres, ainsi que par le désir de partager ces expériences à travers une approche intime du cinéma.
Quels sont les films, images, scènes qui vous habitent ?
— La séquence d’ouverture de Chouga de Darezhan Omirbayev.
— Un garçon pêche, et toute l’attente créée lorsque l’animal mord à l’hameçon.
— La discontinuité temporelle dans Still Life réalisé par Sohrab Shahid Saless. Dans une séquence, après un cut, le fils, endormi, disparaît soudainement de la maison, comme si son arrivée n’avait jamais eu lieu ; puis un autre cut nous conduit vers une scène où il est de retour, toujours endormi. Je soupçonne également qu’il puisse s’agir d’une erreur de la seule copie disponible en ligne. Mais c’est une erreur d’une telle beauté.
— Le vide noir dans La Vallée close de Jean-Claude Rousseau.
— La séquence finale de Avant que J’oublie de Jacques Nolot.
— La couleur bleue et les travellings de D’Est de Chantal Akerman.
— La réflexion de la lumière des voitures qui passent dans la rue et entrent dans la librairie du personnage dans Café Lumière d’Hou Hsiao-hsien.
— Un plan de pieds touchant un tapis dans Black Blue Permanent de Margaret Tait.
— Le grain noir et blanc de O Anjo Nasceu de Júlio Bressane.
Décrivez en quelques mots un projet auquel vous rêvez.
Un film de fiction sur le passé de ma ville natale au Brésil, centré sur les ouvriers d’une usine textile.
Que regardez-vous dans les films ?
Principalement le travail avec le temps.
Qu’attendez-vous qu’un film produise en vous ?J’attends un effet physique qui dure. Par exemple, mes films préférés provoquent une douleur dans mes bras (et leur agitation). C’est comme le sentiment que quelque chose ne va pas, ou est déplacé, sans pouvoir vraiment expliquer pourquoi. Peu de films me font ressentir cela; c’est agaçant et cela reste en moi même après la fin de la projection.
Quels sont les films qui ont marqué :
Votre enfance
— The Sixth Sense de M. Night Shyamalan
— Menino Maluquinho: O Filme de Helvécio Ratton
— Tonari no Totoro d’Hayao Miyazaki
Votre adolescence
— Elephant de Gus Van Sant
Votre vie d’adulte
— Sansho the Bailiff de Kenji Mizoguchi
— Rio Zona Norte de Nelson Pereira dos Santos
— La Région centrale de Michael Snow
— Dans la Chambre de Vanda de Pedro Costa
— Nachmittag d’Angela Schanelec
3 mots que vous associez au cinéma ?
Durée, présence, hors-champ.
Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?
Des traces, des indices que quelqu’un a été là et n’y est plus.
Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ?
Les différents types de vide, l’ellipse.
Qu’est-ce qui vous amuse au cinéma ?
La manière dont le monde matériel (visages, objets, êtres vivants, mots, paysages, obscurité) peut être assemblé pour créer quelque chose d’immatériel, d’éphémère.
Quelles sont les sensations que vous procure le cinéma et que vous ne trouvez pas ailleurs ?
Il me donne surtout de la patience, un type très spécifique de patience.
Pedro Geraldo (iel), né·e en 1990 au Brésil, vit à Roubaix, France, où iel étudie à Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains à Tourcoing. Diplômé·e en études cinématographiques de la FAAP à São Paulo. Iel a travaillé comme directeur·rice de la photographie sur des courts et longs métrages présentés au FIDMarseille, à IFFRotterdam et à IndieLisboa. Sofia foi, son premier long métrage, a remporté le prix du meilleur premier film lors de la 34e édition du FIDMarseille en 2023.

