Ligne claire

Nicolas Pariser





Est-ce que ça vous convient si on décrit le film comme une comédie sérieuse ?

Pas tout à fait. Je ne dirais pas que le film est sérieux, je dirais qu’il a une dimension tragique. Dans l’adjectif « sérieux » il y a un côté adulte et je crois que je n’aime pas tellement le cinéma sérieux. Sauf quand il est sublime évidemment. Dreyer et Mizoguchi font un cinéma sérieux. Mais, en général, je n’aime pas trop l’art sérieux au sens de l’art adulte. Par contre, je pense qu’on peut parler de choses dramatiques et quand même conserver un regard ou une distance humoristiques. Mais, pour moi, « sérieux » quand j’étais enfant, c’était des gens dans un bureau qui avaient des problèmes d’adultes. Le cinéma est une forme de résistance à l’esprit de sérieux qu’on peut avoir quand on est un mauvais adulte. Mais le film n’est pas intégralement drôle évidemment. C’est une comédie tragique ou une tragédie comique. En tout cas, je n’aime pas l’esprit de sérieux.

Mais le film aborde des thématiques sérieuses.

Oui, mais pour prendre des exemples totalement écrasants, Tartuffe de Molière parle de choses extraordinairement brûlantes qui se passaient à l’époque sous forme drôle. Et pour prendre des exemples plus récents : évidemment les films d’Hitchcock ou de Lubitsch ou plus récemment les comédies de Nanni Moretti parlent de sujets dramatiques comme la déliquescence progressive de la société italienne. Mais c’est drôle.

Vous travaillez une forme comique qui n’est pas dans l’immédiateté mais plutôt dans le décalage.

J’ai une nature qui fait que j’essaie de ne pas en faire des tonnes, donc effectivement je ne cherchais pas à faire des gags monumentaux où les gens allaient se décrocher la mâchoire. Mais, je ne voulais pas non plus un rire de bon goût. Je voulais qu’il y ait des gags physiques.

Sur des choses triviales.

Voilà. Un des grands défis du film, c’était de trouver un équilibre entre le drame et la comédie donc ça aurait été un peu compliqué de faire des gags monumentaux. Souvent, les gags les plus drôles sont ceux basés sur des gros ressorts comiques qui ici ne me paraissaient pas très pertinents par rapport au reste du film. Hormis de la grosse machinerie comique, je ne m’interdisais rien.

Les films d’enquête à la Agatha Christie ont le vent en poupe en ce moment avec les adaptation de Kenneth Branagh et les films de Rian Johnson Knives Out et Glass Onion. Mais, Le Parfum Vert n’est pas un film à tiroir qui multiplierait les intrigues et les retournements de situation.

Je ne suis pas un fanatique d’Agatha Christie. Parce que premièrement, je n’ai pas la patience de passer trois jours de ma vie à me demander qui a fait le coup. Et puis surtout, à la fin, que le coupable soit untel ou untel, ça ne m’intéresse pas beaucoup. Ce que j’aime chez Hergé et dans les films d’Hitchcock des années trente, c’est ce qu’on appelait pour Hergé « la ligne claire ». Il y a à la fois, une grande clarté dans le dessin, dans l’organisation de l’espace, de la planche… et aussi une narration extrêmement linéaire. Les films d’espionnage d’Hitchcock sont absolument dépourvus de toute perversion narrative. Ce n’est pas du John Le Carré. Il y a une simplicité de l’intrigue qui est à l’opposé d’Agatha Christie. Et même quand Hitchcock adaptait des romans d’espionnage ou des romans policiers, il trahissait souvent le matériau d’origine pour le rendre plus compréhensible. Je n’ai rien contre les scénarios complexes et d’ailleurs, je pense que mon premier film, Le Grand Jeu, en termes de récit d’espionnage, est assez difficilement compréhensible. J’avais envie de faire quelque chose avec plein de tenants et d’aboutissants, quelque chose d’un peu insaisissable. Mais avec Le Parfum Vert je voulais faire un film linéaire et que les enfants pouvaient voir et apprécier. 

Avez-vous donné des références précises à vos acteurs ?

Avec mes comédiens j’ai surtout parlé des films d’Hitchcock des années trente et de Tintin. Mais souvent, les comédiens aiment travailler avec des choses concrètes. Certes, on parle beaucoup mais souvent je discute de choses qui n’ont rien à voir avec le film. Je pense que ça nourrit le film. Ce qui est très agréable quand on est metteur en scène, c’est que quand bien même nos conversations avec les comédiens portent sur toute autre chose que sur le film, ça irrigue malgré tout de manière très riche et fructueuse le travail. Donc j’essaie d’avoir avec eux un lien qui serait à côté du film. Mais, ce qui leur sert le plus ce sont les décors et les costumes. Aussi bien Vincent Lacoste que Sandrine Kiberlain ont des costumes très référencés et archétypaux. Lui c’est Tintin et elle, Corto Maltese. Je pense que ça les aide à donner vie à quelque chose d’abstrait, à conserver la puissance de l’abstraction tout en leur donnant beaucoup de chair. C’est presque magique quand un comédien arrive à faire vivre son personnage grâce à une veste et une tasse à café. C’est beaucoup plus facile qu’en lisant des livres ou en discutant de références.

Dans Le Parfum Vert, les personnages se définissent notamment par leur positionnement politique et leur religion, ce qui est assez rare dans le cinéma français.

En fait, le cinéma populaire investit énormément les sujets politiques et religieux mais de manière parfois politiquement douteuse comme Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu?. Mais, par exemple, Bienvenue chez les Cht’is traite de ce qu’est le nord de la France, ce qui n’est pas rien. Et c’est vrai que le cinéma d’auteur français a une veine essentiellement intimiste qui va éventuellement traiter des affects politiques mais souvent stéréotypés avec une vision traditionnelle des luttes sociales. C’est-à-dire qu’en gros, quand on veut faire un film politique en France, on filme une usine et des gens qui luttent pour des meilleures conditions de travail. Evidemment que c’est un sujet essentiel mais on fait rarement des films politiques en France qui sortent de ce schéma. De la même manière, les films français excellent dans la question des relations amoureuses, du deuil… Ça fait de très belles oeuvres. Mais, le cinéma d’auteur se risque moins à parler de sujets plus historiques. Ça change petit à petit ; Saint-Omer essaie justement de traiter d’un sujet politique et historique de manière ambitieuse. 



Oui, il y a deux extrêmes : d’un côté des film explicitement politiques et sociaux et de l’autre des films où la politique est un sous-texte très discret. Ce que Le Parfum Vert fait de différent c’est qu’il associe un discours politique à la comédie et qu’on y parle d’opinions politiques et de religion sans que ça devienne le sujet du film. 

Ce dont vous parlez, c’est une scène essentiellement. C’est plus pour moi, une prise de risque stylistique en fait. Je me suis dit : qu’est ce que ça fait si j’arrête le film au bout d’une heure pour y insérer une scène qui sortirait d’un film de Rohmer ? C’est-à-dire avec deux personnages qui discutent dans une cuisine. Et que ce soit long. Qu’est-ce que ça fait si je fais une pause de dix minutes où ils vont parler de leur vie ? J’avais conscience que, si ça se passait bien, ça allait donner une profondeur psychologique mais aussi politique, historique, aux personnages. Ça me permettait aussi d’enclencher un léger changement de ton pour la fin du film, qui est plus noire. Et ça allait donner à la scène qui suit, dans le train, une dimension plus profonde et tragique. Mais, je dirais que la scène de la cuisine ne servait pas tant à donner une profondeur psychologique, parce que le film n’en n’avait pas nécessairement besoin, mais plus à tenter un truc stylistique en plein milieu du film. Je fais des films qui sont de factures assez classiques mais j’essaie quand même, toujours, de faire quelque chose qui les sorte d’une démarche uniquement classique. On ne peut plus faire des films qui soient beaux sur leur classicisme intégral. Il faut tenter des trucs.

Justement, puisqu’on parle de style, il ne faudrait pas que le discours que cette scène suggère prenne le pas sur un des grands intérêts du film qui est sa forme, qui rappelle bien sûr, comme vous le disiez, la fameuse ligne claire.

Dès qu’on a commencé à parler du film avec mon chef opérateur et mon chef décorateur, j’avais des sources d’inspiration extrêmement précises, contrairement à mes autres films et notamment à Alice et le Maire. Là je savais que je ne voulais pas que ce soit un film réaliste, je voulais que tout soit très stylisé, que les couleurs ne soient pas réalistes. Quand je dis stylisé ça veut dire que je ne choisissais pas les costumes et les décors pour leur réalisme mais bien pour leur puissance d’expressivité. 

Le choix des lieux est très intéressant. Il y a un virage dans le film. La partie à Paris est assez banale et plus le film avance et les personnages se déplacent, plus le film affirme un ton et un style.

Quand j’écris, j’ai envie de faire des scènes dans des lieux inhabituels, pour le cinéma français en tout cas. Je me suis aperçu que je n’ai pratiquement jamais tourné de scènes qui se passent dans un appartement. Il y a beaucoup plus d’hôtels, de moyens de transport, de lieux de travail… Je choisis déjà au moment de l’écriture des décors qui ne sont pas banals, qui sont spectaculaires, qui s’éloignent du réalisme. Par exemple, quand ils prennent le train couchette pour Budapest, ce n’est pas logique ils pourraient prendre l’avion.

Ça a aussi à voir avec quelque chose d’intemporel et de daté, une sorte de frontière un peu floue avec laquelle le film joue.

C’est un peu comme Tintin qui est une sorte de document sur la vie des années trente, même si on ne sait pas vraiment comment les gens vivaient à l’époque de Tintin. L’aspect documentaire est vraiment plus sur l’environnement politique : les voitures, les vêtements… il y a quelque chose d’intemporel dans Tintin. Mais en même temps, c’est une des seules oeuvres européennes pour la jeunesse qui parle de l’invasion de la Mandchourie par les japonais et donc d’un des premiers acte qui va aboutir quelques années plus tard à la Seconde Guerre Mondiale. Quelle oeuvre pour la jeunesse parle de l’Anschluss si ce n’est Le Spectre d’Ottokar ? Mais toujours avec des personnage très intemporels. Dans les années trente, les enfants parlaient d’une certaine manière et avaient des habitudes et pratiques qu’on ne voit absolument pas dans Tintin. J’avais envie de faire un peu la même chose, que le film ne soit pas quotidien.

Il y a un amusement dans le film qui rappelle les plus ludiques des films de Resnais.

Il se trouve que je n’aime pas beaucoup les Resnais sérieux des années soixante. Je préfère ce qu’il à fait à partir des années quatre-vingt, et encore plus peut-être dans les années quatre-vingt dix comme Smoking/No Smoking, ou plus tard Cœurs, que j’adore. Chez Resnais, plus que chez d’autres cinéastes de cette génération, il y a la question du faux et comment est-ce que le faux peut atteindre une vérité plus grande. C’est une démarche assez peu Nouvelle Vague finalement. Je partage avec lui un très grand intérêt pour la bande-dessinée et l’envie d’essayer de faire du cinéma à partir de la BD.

Entretien réalisé par Lucas Charrier le 13 Décembre 2022 à Paris. 

Nicolas Pariser est un réalisateur français né à Paris le 29 septembre 1974. Le Parfum Vert est son troisième long-métrage après Le Grand Jeu et Alice et le Maire

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