Questionnaire 

Nicola Bergamaschi


Quels sont les films (et séries) qui vous habitent ?

Je me sens surtout habité par les films que je fabrique au moment où je les fabrique.

Qu’attendez-vous qu’un film produise en vous ?

Un sorte d'oxygène pour les yeux et les oreilles, une émotion quelque peu lumineuse.

C’est quoi pour vous la magie du cinéma ou la magie au cinéma ?

On peut considérer la magie du cinéma de façon très négative, comme une construction, parfois extrêmement maîtrisée, à une échelle proprement industrielle, qui se fonde sur une culture dominante, et dont les finalités ne sont pas forcement émancipatrices. Alors si je fabrique des films, je ne pense pas trop être un magicien, je ne cherche pas à maîtriser des illusions. J'essaie de faire du cinéma comme un jeu, avec le sérieux des enfants qui jouent. Ou bien comme pour vivre un rêve, avec cette sensation que dans le rêve tout est signifiant.

C’est quoi votre définition de la cinéphilie ?

Je n'ai pas vraiment de définition mais peut-être que l'espoir de tout cinéphile est celui de rester dans l'enfance par le cinéma. Ce qui est très difficile car on sort de l'enfance même si on regarde beaucoup des films. Par contre, personne ne regarde les films comme les enfants, les enfants boivent les films et les apprennent par cœur. Ce sont peut-être les vrais cinéphiles et les cinéphiles adultes en sont peut-être des pâles imitations.

Parlez-nous de quelqu’un que vous avez côtoyé ou que vous côtoyez qui vous a influencé dans votre pratique.

Si je dois citer une seule personne ce serait Nathalie Hugues avec qui j'ai fabriqué plusieurs films. Cela dit, je pense c'est important que les artistes n'évoluent pas trop dans l'influence d'autres artistes. Pour ma part, j'ai l'impression que faire des films avec des personnes dont le cinéma n'est pas une pratique courante (des détenus, ou des enfants, ou des patients en psychiatrie) a eu une très grande influence sur ma pratique et je dirai même que ça a donné du sens au fait de faire des films. Faire des films toujours "avec". A ma petite échelle c'est un moyen de « casser » une certaine inertie où les artistes s'adressent aux artistes, où les professionnels du cinéma s'adressent à un public déjà constitué et averti. En autre, ça me permet de remettre en question mes propres dogmes, et donc la mise en circulation d'objet étranges, inquiétants/joyeux, en essayant d'attraper une lumière, un mot, un rire, garder trace. Des films qui ne devraient pas être là. C'est pour moi une façon de mélanger le cinéma et la vie, d'être humble. C'est aussi un laboratoire pour miner les hiérarchies des rôles au cinéma, la place de l'auteur, la politique des auteurs, la sélection des films, tous ces trucs qu'on ne remet jamais en question, ou si peu.

Pourquoi faites-vous du cinéma ?

En faisant du cinéma j'enregistre d'abord quelque chose du réel, qui devient donc une image ou un son. Et après, j'essaie d'en faire autre chose. Peut-être que le cinéma tient sur : faire quelque chose de ce qu'on enregistre. Mais pourquoi ? Parce que ce que j'enregistre, que ce soit un plan ou un son ou les deux, il pose question. Il me pose une, deux, milles questions. C'est comme une force qui pousse. Où est-ce qu'elle va ? Qu'est-ce que je peux faire avec ça ? Faire des films, c'est d'abord pour moi une façon de tenter des réponses vraies aux questions que me posent les images et les sons. Chaque réponse, si elle est vraie, agit comme un remède. C'est cela que, éventuellement, je souhaite donner et que j'espère communiquer.

Que feriez-vous si vous ne faisiez pas du cinéma ?

Aucune idée mais j'irais probablement chercher quelque chose qui me donnerait une liberté et une prodigalité que je n'ai pas trouvé en essayant de faire du cinéma.

Que regardez-vous dans les films ?

Je m'intéresse beaucoup à ce qui se joue entre l'image et le son.

Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?

Les personnages dans leur abnégation et leur persistance à être ce qu'ils sont.

Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ?

Les voix.

Qu’est-ce qui vous amuse au cinéma ?

Les faux raccords.

Qu’est-ce qui est cinégénique à vos yeux ?

Cinégenique serait tout objet ce qui se laisse naturellement modifier/métamorphoser/couronner par le son.

Comment choisissez-vous les films que vous regardez ?

Je fais un peu comme tout le monde, j'entends parler de quelque chose et je vais regarder, au cinéma ou sur mon ordinateur. Je vais aussi au Polygone étoilé à Marseille où la plupart du temps ce sont les personnes elles-mêmes qui montrent leur propre film. J'aime cette absence d'intermédiaire entre « ce qui se fait » dans le cinéma et « ce qui est vu » par un public. Je ne choisi pas vraiment ce que je regarde, du coup. Je suis là.

Enfant comment avez-vous eu accès au cinéma ?

J'ai eu accès au cinéma par la télévision : donc avec des films doublés en italien et interrompus par la publicité. Ou bien des films sur cassette VHS, enregistrés par les adultes sur VHS lors de leur passage à la télévision, donc toujours doublés en italien et interrompus par la publicité. Parfois la bande de la VHS se terminait avant la fin du film, et c'est ainsi que j'ai découvert la fin de certains films avec des années de retard (la fin de films me paraissant alors moins étonnante et peu audacieuse).

Racontez-nous un souvenir de cinéma, une rencontre avec un film ou un cinéaste ?

J'avais 22 ans et j'étais à Paris, je me baladais au hasard et je suis rentré par hasard dans une église. Je me suis rapproché, comme ça sans raison, d'un autel secondaire, au fond d'une chapelle latérale. Là, j'ai remarqué une feuille de papier pliée et coincée entre le mur de l'église et l'arrière de l'autel. J'ai pris le papier qui était complètement écrit et j'ai lu. C'était une demande d'aide pour faire un film, adressée à Dieu bien sûr. Mon français de l'époque ne me permettait pas de comprendre tous les mots. C'était la première demande d'aide pour réaliser un film que je lisais de ma vie. Elle me reste en tête comme une grande question : est-ce qu'il n'y aurait pas toujours une partie d'un film que l'on remet aux dieux, qu'on leur confie, qu'on aimerait leur offrir ?









Lilith Grasmug est une actrice autrichienne née à Paris. En 2017, elle joue dans Sophia Antipolis, de Virgil Vernier avant de travailler avec Jean-Christophe Meurisse, Carmen Jaquier, Claire Burger et Arthur Harari. Après un passage au département cinéma de l'ECAL à Lausanne, elle a poursuivi un master de recherche en art contemporain, sous la direction d’Elvan Zabunyan. Some of you fucked Eva est son premier court-métrage en tant que réalisatrice.