Questionnaire 

Marta Skoczen


Que regardez-vous dans les films ?

Les images, les couleurs, l’ambiance, les visages, les expressions, le montage, les symboles, les gestes... 

Trois mots que vous asssociez au cinéma ?

Le temps, le rythme, l’expression.

Citez un film que vous associez… 

À une musique : — Blue Velvet de David Lynch


À une couleur :

— Stalker d’Andrei Tarkovsky : le bleu

À un visage :

Persona d’Ingmar Bergman : les deux visages qui se mélangent dans un seul plan 

À une lumière : 

— 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick : la lumière blanche de la chambre

À un lieu :

— Roma de Federico Fellini : Rome, et la scène dans laquelle les fresques apparaissent 

À un objet :

— Semiotics of the Kitchen de Martha Rosler : les objets de cuisine


À un vêtement : 

— Paris Texas de Wim Wenders : le gilet rose

À un son : 

— Meshes of the Afternoon de Maya Deren : des battements rythmés


Au silence :

— Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman

Au désordre :

— La Paresse de Chantal Akerman


À un mouvement  : 

— At Land de Maya Deren : les mouvements des corps qui font le lien entre les scènes et les lieux

Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?

Le fait que le cinéma me rapproche des histoires racontées par les autres.

Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ?

Le métier d’acteur.ice, qui demande énormément d’endurance. Je suis impressionnée par la capacité des comédiennes avec lesquelles je travaille d’incarner des états émotionnels différents .


Qu’est-ce qui vous amuse au cinéma ?

Dans un processus créatif, on peut commencer par une simple idée, puis s’en éloigner en tournage, et pourtant, à la fin, on retrouve toujours cette image première dans l’oeuvre réalisée. Ce que je trouve amusant c’est de se lancer dans le processus de création et d’expérimentation dans un cadre prédéfini par des storyboards, dessins, recherches visuelles, éléments d’écriture. Ce qui m’amuse aussi ce sont les croisements entre le cinéma, l’art contemporain et la photographie, qui ouvrent des possibilités d’exposition autres qu’une salle de cinéma.

Quels sont les films qui vous habitent ?

— Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda
Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman
Persona d’Ingmar Bergman
Le Miroir d’Andrei Tarkovsky
— Talking Heads de Krzysztof Kieślowski.

Ce serait quoi pour vous le décor de cinéma parfait ?

Pour moi l’idée de la perfection, surtout en décor, est liée à la maîtrise propre à la fiction et aux contraintes d’une production externe. Il s’agit de la « fiction ». J’aime bien les décors imparfaits, qui donnent l’impression de faire partie de l’environnement de façon organique, un peu comme dans le documentaire ou comme dans les films d’auteur.

Qu’est-ce qui est cinégénique à vos yeux ?

La présence exprimée par le regard. Je trouve assez magique les regards camera, qui donnent à la fois l’impression de pouvoir observer le personnage et de participer à une scène en tant que spectateur.ice.

Ce serait quoi pour vous « la magie du cinéma » ou la magie AU cinéma ?

Le fait de disparaître dans un film, d’oublier son corps, et de vivre la réalité filmée comme la sienne.


La question du numérique et de la pellicule, à vos yeux c’est une simple histoire de technique ou un véritable questionnement sur la matière du cinéma ?

J’ai une affinité pour tout ce qui est argentique, en photographie et en vidéo, mais je tente de choisir le médium avec lequel je travaille en fonction des besoins de mon projet. Souvent cela se fait de manière assez naturelle et intuitive. La plupart de mes films courts a été tourné en DV. Je trouve que la douceur du rendu correspond au type d’image de ces films, qui évoquent souvent des portraits avec une attention à la psychologie, à la lumière, au geste. Le rythme est très lent. C’est aussi un médium relativement facile quant à la numérisation. Pour d’autre type de projets, je travaille exprès en numérique. Par exemple, pour une vidéo composée des cadres selon la logique d’un journal filmé, j’ai filmé avec mon téléphone pour garder les mouvements de ma main et souligner l’aspect subjectif du personnage. Pour une installation vidéo dans le cadre de laquelle on devait bien voir des détails et des structures, j’ai choisi une caméra numérique, récente. Tout dépend du thème et du message que je veux faire passer.

La frontière fiction/documentaire vous en faites quoi ?  

Comme je fais actuellement des films d’art, on y retrouve des éléments scénarisés, mais il y a aussi de la place pour l’imprévu. Dans mon dernier film, Attachements, on retrouve un nid de pigeons, qui devient l'axe principal d’une relation entre deux personnages. Je n’avais pas du tout prévu de filmer un nid; nous en avons remarqué un avec d’autres artistes de mon atelier à Montreuil. Dans le paysage urbain, on avait une vue parfaite sur un arbre. Je le filmais pendant plusieurs jours, à plusieurs reprises.
Mon travail vidéo s’inspire beaucoup de mon travail photographique, marqué par une approche documentaire. Mon passage de la photographie à la vidéo a été fluide, car j’ai fait mes premiers films comme mes séries photographiques, sauf quelques différences d’organisation.

Est-ce que votre travail vous ressemble ?

Il y a des ressemblances entre ma façon de concevoir une oeuvre d’art, surtout une oeuvre vidéo, et ce que j’aime de manière générale. Je recherche des moments de contemplation, tout en restant assez occupée au quotidien entre ma pratique d’artiste, l’enseignement et mon travail de photographe. Par exemple, j’aime beaucoup prendre le train, même sur des très longs trajets. Cela me permet non seulement de me concentrer, mais me donne aussi une sensation de temporalité différente. Dans mes films, la sensation du passage de temps est très importante, et je tente de construire, à travers des scènes lentes, des espaces de contemplation pour les spectateur.ices. En travaillant sur L’eau et la lumière, une série de photographies instantanées qui parle du réchauffement climatique, je me déplaçais souvent en marchant, en faisant en quelque sorte opposition à l’accélération.  

Pourquoi faites-vous des films ?

Quand je commençais à travailler avec la vidéo, j’étais très curieuse de ce médium et de ses possibilités. Pendant mes études aux Beaux-Arts de Paris, j’ai très vite senti le besoin de donner vie aux personnes que je photographiais ; je voulais les voir bouger et je voulais entendre le son de leurs environnements. Dans ma famille, le cinéma a toujours été très présent, c’était donc très naturel pour moi de réfléchir l’image comme ça. Avec le temps, à part la curiosité et le plaisir de filmer, la vidéo est devenue pour moi une manière de retranscrire des sensations qui m’habitaient, souvent liées à la mémoire. Le fait de les structurer en montage menait chez moi à une plus grande intégration interne. La complexité du médium vidéo, que je ne retrouve pas forcément en photographie ni en dessin, me permettait de croire que cette intégration pourrait aussi se faire ressentir chez les spectateur.ices. Je filmais des images dont j’étais porteuse, qui provenaient parfois de mon propre vécu, de mon système familial, parfois du contexte social dans lequel j’ai grandi ou vécu. J’aime bien penser l’art comme un moyen d’expression qui fait passer de la dimension individuelle à la dimension collective.

Avec quelles autres pratiques artistiques votre travail dialogue-t-il le plus ?

Dans mon travail, je me sers déjà de plusieurs pratiques artistiques ; je travaille avec la vidéo, la photographie, les arts graphiques, le texte… Tous ces médiums se nourrissent perpétuellement.

Comment décririez-vous votre travail en quelques mots ?

Nature, silence, portrait, lien, solitude, mémoire, proximité.

Décrivez, si vous le voulez bien, en quelques mots, un film auquel vous rêvez.

J’ai deux nouveaux films en tête ; un parlerait de la terre et de l’agriculture, l’autre de la migration et des frontières. Je suis aussi de plus en plus attirée par l’argentique, notamment par le Super 8.
Marta Skoczen (née en 1994 à Lodz, en Pologne) est artiste travaillant avec la vidéo, la photographie, le dessin et le texte. Elle vit et travaille à Paris. Dans son travail, elle parle de la féminité, de la mémoire et de la rencontre du passé avec le temps actuel. Ses travaux font partie de collections internationales, telles que MACBA Musée d’Art Contemporain de Barcelone, The Agah Ugur Collection, et Isabelle et Jean-Conrad Lemaître. En 2022, elle a reçu le prix LOOP Fair Acquisition Award pour son film Maison sans clé présenté par la Galerie Dohyang Lee. Depuis 2022 elle enseigne également la photographie à l’École Internationale de Mode.

︎︎︎ martaskoczen.com/fr

images : House Without a Key