Questionnaire

Marin Martinie


Quels sont les films qui ont marqué :

1. Votre enfance

Si je suis honnête, je répondrais un De Funès, Les Visiteurs, L'Étrange Noël de M. Jack ou Le Bon La Brute et le Truand. Si je voulais faire le malin, je parlerai de ce court-métrage des studios Aardman en stop-motion qui m'avait terrifié : « Jamais sans mon sac à main ». Le réalisateur s'appelle Boris Kossmehl (je n'en avais pas la moindre idée à l'époque, je viens juste de vérifier ça sur google).  

    2. Votre adolescence

Sacré Graal ! des Monty Python (1975)

    3. Votre vie d’adulte

Tous les Rohmer que j'ai pu voir jusqu'à maintenant.

Racontez-nous un souvenir de cinéma. 

Quand j'étais lycéen, à Nantes, j'étais allé voir Gerry de Gus Van Sant, avec un bon copain de classe. Le film repassait dans un petit cinéma d'art et d'essai, il y avait une poignée de gens dans la salle. Dans mon souvenir, le film a un côté minimaliste, très sec, avec une sorte de longue marche dans le désert où les deux personnages se confondent. Mon copain Sébastien et moi, tout en appréciant le film, avions passé la séance à faire des commentaires ironiques à haute voix et à pouffer de rire comme deux cons. Ça a sans aucun doute gâché la séance à toutes les autres personnes dans la salle. C'était vraiment stupide mais c'est un excellent souvenir. 


Que regardez-vous dans les films ?

D'abord, la typographie du générique.

3 mots que vous associez au cinéma ? 

Je vais être très banal : désir, souvenir et visage

3 noms que vous associez au cinéma ?

Question très difficile… alors, un peu au hasard : Winsor McCay (pour le cinéma d'animation), Ingrid Bergman (pour les acteur·ice·s) et Martin Scorcese (pour la mise en scène et la mythologie américaine).


Parlez-nous, en quelques mots, d’un lieu lié au cinéma qui vous est cher.

C'est sûrement un peu cliché, mais je dirais les cinémas du quartier latin, et notamment la rue Champollion où on trouve le Champo, la Filmothèque, le Reflet Médicis et le bar Le Reflet. C'est une toute petite rue dans laquelle on sort après avoir vu le film, le plus souvent un classique ou une rareté, et donc c'est un endroit où je me suis trouvé de nombreuses fois, complètement imprégné des images d'un très bon film. Mon colocataire et meilleur ami Simon, qui étudiait le cinéma, m'avait fait découvrir cet endroit et ce quartier dans lequel je reviens régulièrement.


Parlez-nous d’un film dont le rapport au temps vous fascine.

Chronopolis de Piotr Kamler (1983), c'est un film d'animation, plus ou moins de science-fiction, qui parle du temps, et dans lequel on voit notamment d'étranges êtres aux allures de pharaons égyptiens manipuler le temps comme une substance chimique. Le film est lui-même un peu suspendu dans le temps, à la fois monotone et très beau.

Parlez-nous d’un film dont le rapport à la matière vous fascine.

New York "Ghetto" Fish Market 1903 de Ken Jacobs (2006) où le cinéaste épuise pendant deux heures quelques secondes d'une scène de marché aux poissons datant du début du siècle. Les silhouettes fantomatiques des passants, réexposées sans cesse, réactivent leurs présences historiques. La matière en question c'est à la fois le film lui-même, la marchandise sur les étals, et les corps de ces gens aperçus par la caméra il y a très longtemps…
Je m'aperçois que cette réponse et celle qui précède sont complètement interchangeables.

Parlez-nous d’un film que vous aimez pour ses images.

Yellow Submarine (1968) de George Dunning qui est un superbe morceau de graphisme et d'animation psychédéliques, avec des moments presque abstraits.


Parlez-nous d’un film que vous aimez pour son récit.

La construction en deux parties de The Deer Hunter de Michael Cimino (1978) m'a beaucoup marqué parce qu'on passe le long moment du mariage avec tous ces personnages, qu'on s'attache vraiment à eux, et qu'on est d'autant plus touché de voir que la guerre les touche de manière irréversible.

Citez…
    Un film qui vous fait peur.

Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (1973)


    Un film qui vous fait rire.

Unhappy Happy, un court-métrage de Peter Millard (2015)

    Un film qui vous fait pleurer.

Lettre d'une inconnue de Max Ophüls (1948)

    Un film dans lequel il fait bon se perdre.

Northwest Hounded Police de Tex Avery (1946)  

Un film confortable.

Charade de Stanley Donen (1963)  


    Un film sur-estimé.

La Panthère Rose de Blake Edwards (1963)

    Un film sous-estimé.

Fatal de Michael Youn (2010)

Citez un film que vous associez…

à une musique :

— La complainte de Bouvier, chantée par Jean-Roger Caussimon dans Le Juge et l'Assassin de Bertrand Tavernier (1976)

À une couleur : 

— Le bleu azur du ciel, de la mer et des yeux de Tom Ripley (Alain Delon) dans Plein Soleil de René Clément (1960)

À un visage :

— Celui d'Ernest Thesiger qui interpète le grand patron de l'industrie textile John Kierlaw dans The Man in the White Suit d'Alexander Mackendrick (1952)

À une lumière :

— Les lumières tamisées de la boîte de nuit visitée par Lee Marvin dans Point Blank de John Boorman (1967)

À un lieu :

— Le Nostromo dans Alien (1979) ou plus récemment la maison du commandant Höss dans La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer (2023)

À un son :

—L'introuvable cri qu'Alain Chabat cherche à obtenir pour son projet de film farfelu dans Réalité (2015) de Quentin Dupieux

À un vêtement :

— Le costume pourpre et les cravates invraisemblables portées par Will Ferrell dans Anchorman d'Adam McKay (2004)

À un objet :

— La pinte de bière (ou plutôt les nombreuses pintes de bière) dans Wake in Fright de Ted Kotcheff (1971)  

Au silence :

— Il y a un long moment de silence terrifiant dans Eraserhead de David Lynch (1977), je crois me souvenir que c'est autour du repas, avec le poulet mutant, et le beau-père qui garde un sourire figé.
 

À une forme :

— Les mains dans le documentaire L'expression des mains (1997) d'Harun Farocki et dans Pickpocket (1959) de Bresson 

Au confort :

Burn After Reading des Frères Coen (2008), confortable par sa légèreté    

Au désordre :

— Tous les films de Bruce Bickford, pleins de formes sauvages et instables

Aux fantômes :

Je t'aime Je t'aime (1968) d'Alain Resnais lorsque Claude Rich, grâce à une machine temporelle, revisite les souvenirs qu'il garde de sa compagne défunte (c'est en tout cas ce dont je me souviens). 


Un détail insignifiant dans un film dont vous vous rappelez souvent sans trop savoir pourquoi ?
Dans French Connection (1971) de William Friedkin, on peut voir sur un mur dans une rue de New-York un graffiti écrit en français qui dit "Le dernier cri", comme le nom d'un super atelier de sérigraphie marseillais qui n'a aucun rapport avec le film.

Un film que vous aimez pour son ouverture (ou dont vous aimez particulièrement l’ouverture).
Le très long zoom en plongée dans une scène en extérieur qui ouvre Conversation Secrète de F.F. Coppola (1974).

Un film que vous aimez pour sa fin (ou dont vous aimez particulièrement la fin).
À la fin du Lauréat (1967) de Mike Nichols, lorsque Dustin Hoffman et Katharine Ross viennent de s'échapper en bus et que leurs sourires s'effacent progressivement, sur la musique de Simon et Garfunkel.

Si vous deviez faire le remake d’un film, lequel choisiriez-vous ?

Je referai bien Une Sale Histoire (1977) de Jean Eustache, en animation, en repartant du double monologue.

Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?

Voir vieillir les acteur·ices

Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ? 

Voir les objets, les visages, les lieux en grand.

Qu’est-ce qui vous amuse au cinéma ?

Quand, au revisionnage d'un film, on regarde les visages des acteurs secondaires, en périphérie du plan, et qu'on y voit de légers sourires ou des détails marrants qui ont échappé aux gens qui faisaient le film.

Quels sont les films (et séries) qui vous habitent ?

Question difficile, je réponds pêle-mêle. En série, il y a Twin Peaks, qui a quand même une dimension cosmique, entre soap opera, SF et cinéma expérimental, plus l'ampleur temporelle entre les saisons 2 et 3. Je suis assez obsédé par les films de Tavernier avec Philippe Noiret (Coup de torchon, Le juge et l'assassin, La vie et rien d'autre, L'horlger de St-Paul etc.) que j'ai revus de nombreuses fois, les Rohmer aussi que je retrouve comme on retrouve de vieux amis, avec attendrissement (et un peu d'agacement), et certains films d'Alain Resnais (Providence, On connaît la chanson, Mon oncle d'Amérique). Délivrance (1972) de John Boorman m'avait aussi beaucoup marqué, alors que je n'aime pas spécialement les films de survie. Et puis il y a des films d'animation bien sûr, ceux de Georges Schwizgebel, ceux de Norman McLaren par exemple ou la série Panique au Village de Patar et Aubier. Les films d’Antonin Peretjatko, Quentin Dupieux et Bruno Dumont sont aussi un peu devenus des rendez-vous pour moi ces dernières années. Bref, j'ai du mal à choisir !

Parlez-nous d’une maison au cinéma qui vous plaît et que vous aimeriez habiter.

J'aimerais bien habiter dans l'appartement de Martine et Jacques dans Cuisine et Dépendances de Philippe Muyl, écrit par le tandem Bacri-Jaoui. L'appartement paraît grand, agréable malgré son étroit couloir et il n'est pas loin de la très belle rue du Mont-Cenis dans le 18e.

Quels sont les paysages de cinéma que vous rêveriez d’explorer ?

Les châteaux des films de vampire de Terence Fisher ou celui du Bal des vampires de Roman Polanski (1967)

Ce serait quoi pour vous le décor de cinéma parfait ?

Un décor que l'on revisite en rêve des années après avoir vu le film.

Ce serait quoi pour vous « la magie du cinéma » ou la magie AU cinéma ?

Je vais répondre un peu à côté en disant : quand les objets du quotidien prennent vie en stop motion, surtout quand c'est traité d'une façon plutôt macabre (Jan Svankmajer dans Alice en 1988, ou le duo chilien León et Cociña qui ont réalisé La casa lobo en 2018), pour moi c'est la vraie sorcellerie du cinéma.

C’est quoi votre définition de la cinéphilie ?

Aimer revisiter les films ; associer des moments, personnes, ou éléments de sa propre vie aux films qu'on a aimés à une certaine époque.

Qu’est ce qui est cinégénique à vos yeux ?

Toute forme de rituel ou de geste technique.

Quel cliché vous agace au cinéma ?

Les scènes de combat au sabre ou à l'épée m'ennuient en général (mais ce n'est pas vraiment de l'agacement).

Quel cliché vous plaît secrètement au cinéma ?

Le « bruit inquiétant » qui se révèle être celui d'un chat de gouttière qui fouille dans une poubelle.

Qu’est-ce que vous faites quand vous vous ennuyez devant un film ?

Je commence à chercher les mots que j'emploierai pour qualifier le film.

Quels films auriez-vous aimé réaliser ?

J'aurais aimé réaliser Porky in Wackyland (1938), le cartoon le plus dingue de Bob Clampett.

À votre avis pourquoi le cinéma est-il un art si populaire ?

Il y a mille réponses à cette question évidemment, mais je dirais qu’au cinéma, on se retrouve, on reconnaît la vie (soi-même, les autres, la société, les objets, le monde) tout en se rêvant une vie différente, en se projetant.

Quelles sont les sensations que vous procure le cinéma et que vous ne trouvez pas ailleurs ? Et inversement.

Le (bon) cinéma m'hypnotise, donc il y a un côté stupéfiant, hallucinogène qui est vraiment unique. En même temps, le cinéma empêche la liberté de mouvement, la capacité de se détacher ou de s'approprier temporellement les choses qu'il y a avec la peinture, la littérature, la bande dessinée.

Avec quelles autres pratiques artistiques votre travail dialogue-t-il le plus ?

Le dessin, mais c'est un peu de la triche, car je fais énormément de dessin, c'est ma discipline principale.

Si on faisait un film sur vous ce serait un film sur quoi ?

Ce serait une sorte de documentaire sur le temps et le dessin, le temps et les images, quelque chose comme ça.

Décrivez en quelques mots un film auquel vous rêvez.

Un film de vampire très premier degré qui se passerait dans la France du XIXème siècle, précisément dans un milieu de la bourgeoise catholique, avec le clergé, des notables ruraux, des officiers, un truc comme ça, et il y aurait plein d'acteurs et d'actrices français·es des années 60/70.

C’est quoi votre façon à vous de faire du cinéma ? 

Je fais de l'animation en partant toujours du dessin, avec l'idée que ce que je veux raconter c'est le dessin lui-même, ou le geste du dessin et tout ce qu'il implique. Il y a une part d'improvisation, et c'est un travail (celui de l'image en tout cas) qui est très solitaire.

Est-ce que vos films vous ressemblent ?

Oui, je pense. Ils ressemblent à ce que j'aime ou à ce que j'aimerais voir en tout cas.

Originaire de Nantes, Marin Martinie est un artiste visuel dont la pratique mêle dessin, film d'animation expérimental et édition. Passé par l'École Estienne, l'école des Arts Déco de Paris et le Fresnoy à Tourcoing, il mène depuis 2020 une thèse de recherche-création à l'université de Lille sur le corps du personnage de cartoon dans l'exploitation marchande. Sur la base d'un dessin improvisé et foisonnant, son travail cherche à déconstruire les formes des arts graphiques narratifs (bande dessinée, animation) en interrogeant leur rapport à l'extraction de valeur dans le capitalisme informationnel. Il est membre du collectif d'artistes Non-Étoile à Montreuil. 

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