Questionnaire
Lilith Grasmug
Quels sont les films qui vous habitent ?
Chaque mois, j’ai de nouveaux films préférés, mais il y a des films auxquels j’ai la sensation de revenir tout le temps : ceux de James Benning que mon monteur Benjamin Goubet m’a fait découvrir, notamment Landscape Suicide. Je revois aussi très souvent Everyone Else de Maren Ade, La Cienaga de Lucrecia Martel et Safe de Todd Haynes.
Qu’attendez-vous qu’un film produise en vous ?
J’ai la sensation que les films qui m’ont le plus marquée sont ceux qui ont produit en moi un état de désorientation totale. Les films que j’aime le plus sont souvent des films qui m’échappent, que je ne comprends pas. Comme Yeelen de Souleymane Cissé, Three Women de Robert Altman ou encore Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas
Quels sont les films qui ont marqué : 1. Votre enfance
— Les enfants du Ciel de Majid Majidi.
— Nur die Wolken Bewegen die Sterne de Torun Lian.
— L’Arbre de Julie Bertuccelli.
2. Votre adolescence
— Kaos des frères Taviani.
— De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites de Paul Newman.
— Un ange à ma table de Jane Campion.
3. Votre vie d’adulte
— Une femme sous influence de John Cassavetes.
— Une Autre femme de Woody Allen.
— L’Institutrice de Nadav Lapid.
Enfant,comment avez-vous eu accès au cinéma ?
Il n’y avait pas de télévision chez nous, alors mon père ramenait des DVD édités par la Berlinale qu’on regardait en boucle, ma soeur et moi. C’est comme ça que j’ai découvert le cinéma iranien. Comme nous sommes autrichiens, ma mère nous a montré les films de Michael Haneke aussi, assez jeunes.
Qui vous montre des films aujourd’hui ?
Mes amis — ceux de mon âge et ceux qui travaillent dans le cinéma depuis plus longtemps que moi. J’adore parler de cinéma avec ma grande amie cinéaste Julie Colly. Elle m’a vraiment appris à penser la production, l’écriture. J’aime profondément sa liberté, son esprit critique. On est les premières à s’envoyer nos scénarios quand on développe un projet. J’aime aussi parler de cinéma avec l’un de mes amis américains. Il a un regard très différent sur ce qu’il voit et entend, moins méprisant et théorique que les Français. En ce moment il me fait redécouvrir Joanna Hogg qu’il adore. Surtout Archipelago. Avec Arthur Harari on s’écrit souvent de longs messages pour échanger sur des films qu’on a tous les deux vus, ou pour s’en recommander de nouveaux.
Comment choisissez-vous les films que vous regardez ?
J’aime bien retrouver la créativité de certains cinéastes que je suis depuis longtemps. Je suis toujours curieuse des films de Thierry de Peretti, de Radu Jude, de Lav Diaz, d’Angela Schanelec. J’aime aussi beaucoup découvrir de nouveaux cinéastes en regardant des court-métrages. Je suis impatiente de découvrir le premier long-métrage de Marine Atlan, celui de Lucy Kerr et le prochain film de Sophie Jarvis.
Que regardez-vous dans les films ?
Il me semble que je suis très attentive aux lieux. À l’atmosphère qui s’en dégage. Je déteste les décors trop propres, trop « décors ». Je n’aime pas non plus avoir l’impression qu’un espace pourrait être remplacé par un autre. Je suis sensible à la topographie des films, à leurs architectures particulières...
En quelques mots...
Parlez-nous d’un détail dans un film dont vous vous rappelez souvent sans trop savoir pourquoi.
Deux détails me viennent à l’esprit : le cheval à poids dans Le Bonheur de Medvedkine et la mouche sur le verre de grenadine dans Le Décalogue 2 de Kieślowski.
Parlez-nous d’un moment de cinéma ou d’une image qui vous hante.
La scène où Yang-Yang chasse des moustiques avec son appareil photo dans Yi Yi, d’Edward Yang. C’est une séquence où l’imagination de l’enfance et l’essence du cinéma deviennent une seule et même chose.
Parlez-nous d’un film dont le rapport au temps vous fascine.
Le Miroir de Tarkovski. Je suis obsédée par les strates de ce film. Il me fait penser au concept de « survivance » d’Aby Warburg.
Parlez-nous d’un film dont le rapport au son vous fascine.
Memoria d’Apichatpong Weerasethakul et Little Boy de James Benning. Le son y est le moteur du récit, le cœur de la narration même.
Parlez-nous d’un film auquel vous repensez souvent sans trop savoir pourquoi.
Exotica d’Atom Egoyan. J’adore le générique et la scène d’ouverture. Mais je n’ai presque aucun souvenir du reste du film.
Parlez-nous d’un film que vous aimez pour sa musique.
Genèse de Philippe Lesage. J’adore Imagining my man d’Aldous Harding et Outside de TOPS.
Citez...
Un film qui vous fait peur.
— Twin Peaks : Fire walk with me de David Lynch me terrifie absolument. La scène où Laura Palmer se cache sous un buisson du front yard de sa maison alors que son père rejoint sa voiture me fait hurler à chaque fois. Le pire pour moi c’est quand le cauchemar advient en plein jour, à ciel ouvert. Rosemary’s Baby et Orange mécanique aussi atteignent des sommets en termes de terreur.
Un film qui vous fait rire.
— Tous les films de Monia Chokri.
Un film qui vous fait pleurer.
— Je pleure devant presque tous les films que je vois, alors ce n’est pas une question très éliminatoire... Mais je pleure particulièrement devant Vie d’Artavazd Pelechian.
Un film que vous trouvez sur-estimé.
— Sentimental Value de Joachim Trier. J’ai l’impression que c’est la parodie d’un film qui existe déjà. Je suis restée complètement à distance du film.
Un film que vous trouvez sous-estimé.
— La folie Almayer de Chantal Akerman.
Une fin de film que vous aimez particulièrement.
— J’aime particulièrement la clôture des Paradis de Diane de Carmen Jaquier et de Jan Gassmann. La version accélérée de Dis, quand reviendras-tu ? de Barbara — chantée par un chœur de femmes sur un plan de rond-point espagnol — me bouleverse.
Un film que vous avez appris à aimer avec le temps.
Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle...) d’Arnaud Desplechin.
Citez un film que vous associez...
À une musique :
— La Fantaisie à quatre mains de Schubert dans Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan.
— L’Opus 100 de Schubert dans La Pianiste de Michael Haneke.
À une couleur :
— Le rouge bordeaux dans Hotel de Jessica Hausner.
À un visage : — La jeune fille dans La Terre éphémère de George Ovashvili.
À une lumière :
— La lumière verte dans le Décalogue 1 de Kieślowski. à un lieu
— La banlieue de Boston dans Ocean Hill Drive de Miriam Gossing et Lina Sieckmann.
À un son :
— La pluie dans Pippi Langstrumpf - Außer rand und band d’Olle Hellbom.
À un objet :
— La radio dans Padre Padrone des frères Taviani
Au silence :
— Silent Light de Carlos Reygadas.
Au confort :
En allemand il y a l’adjectif « gemütlich » qui n’existe pas en français et qui signifie à la fois quelque chose de chaleureux, de confortable, de cosy. L’appartement familial dans L’Ami Américain de Wim Wenders me fait penser à ce mot.
Au désordre :
— Désordres de Cyril Schäublin. aux fantômes
— Pacifiction d’Albert Serra.
Quels.les acteurs.trices aimeriez-vous voir plus au cinéma ?
— L’Opus 100 de Schubert dans La Pianiste de Michael Haneke.
À un visage : — La jeune fille dans La Terre éphémère de George Ovashvili.
À une lumière :
— La lumière verte dans le Décalogue 1 de Kieślowski. à un lieu
— La banlieue de Boston dans Ocean Hill Drive de Miriam Gossing et Lina Sieckmann.
À un objet :
Au silence :
Au confort :
Camille Rutherford, Birgit Minichmayr, Deragh Campbell, Clara Pacini et Andranic Manet.
Quels.les acteurs.trices vous émeuvent particulièrement ?
Théodore Pellerin, Céleste Brunnquell, Alba Rohrwacher, Tilda Swinton et un million d’autres !
Quels.les acteurs.trices vous font particulièrement rire ?
Les acteurs des films de Monia Chokri.
Parlez-nous d’une maison au cinéma qui vous plaît et que vous aimeriez habiter.
J’adore cette question. Mon père est architecte, alors je suis souvent attentive aux maisons dans les films. Je dirais la cabane de Cookie et de King Lu dans First Cow.
Quels sont les paysages de cinéma que vous rêveriez d’explorer ?
J’adorerais me promener dans les forêts et les plaines de l’Oregon (US), celles des films de Kelly Reichardt.
Dans quel film aimez-vous vous perdre ?
Dans Quatre nuits d'un Rêveur de Robert Bresson.
Quel cliché vous agace terriblement au cinéma ?
Comme beaucoup de personnes : la façon dont les couples font l’amour à l’écran. Ça manque terriblement de sensualité, de créativité... Les scènes de sexe de Los Años Nuevos de Rodrigo Sorogoyen sont particulièrement réussies, mais cela me semble rare...
Qu’est ce que vous faites quand vous vous ennuyez devant un film ?
Ça dépend. Il y a des ennuis agréables et des ennuis désagréables. Si le film est bon, je reste. Si le film est mauvais, je sors.
Si on faisait un film sur vous ce serait un film sur quoi ?
Ce serait un film sur ma sœur, sur mes amis. Sur le thé, mon lit et Belleville.
Est-ce que votre travail vous ressemble ?
Je pense que mon travail est lié à la honte. Donc il doit certainement ressembler aux choses que j’imagine être les plus sombres ou sales chez moi...
Parlez-nous de quelqu’un que vous avez côtoyé ou que vous côtoyez qui vous a influencé dans votre pratique.
Il y en a tant... J’ai l’impression d’emprunter sans arrêt aux autres. Et de faire du mimétisme tout le temps ! Je dirais les cinéastes avec lesquels j’ai travaillé et qui m’ont influencée de façons très différentes : Julie Colly, Carmen Jaquier et Virgil Vernier.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Il me semble que j’ai été très inspirée par la littérature dernièrement. Notamment par les nouvelles de Susan Sontag, les mémoires de Joan Didion, les romans de Violette Leduc et la poésie de Laura Vazquez. Sinon, je pense aussi à d’autres films, aux villes et aux paysages que je fréquente quand je voyage. Le rythme de vie des animaux, des enfants et des personnes âgées m’inspire aussi. J’essaie d’apprécier davantage la lenteur, la répétition, le quotidien.
Quels sont les artistes qui vous fascinent ?
Il y en a beaucoup : Marguerite Duras, Trinh T. Minh-Ha, Sally Mann, Dan Graham, Ana Mendieta... J’ai une passion pour Miranda July en ce moment. J’adore ses pratiques, ses personnages et ses chorégraphies sur Instagram. Je préfère d’ailleurs ses livres à ses films ; je les trouve plus punks, plus dérangeants que son cinéma. Elle est tellement libre.
Avec quelles autres pratiques artistiques votre travail dialogue-t-il le plus ?
Avec le bricolage et le collage, il me semble.
Pourquoi faites-vous du cinéma ?
Pour avoir l’impression de jouer tout le temps ; d’être sans arrêt dans le jeu, dans mon imagination et de transmettre cette impulsion aux autres. Pour laisser de petites traces aussi.
Que feriez-vous si vous ne faisiez pas du cinéma ?
Probablement de l’architecture, ou peut-être que j’écrirais...ou les deux ! J’adorerais enseigner aussi.
Comment décririez-vous votre cinéma en quelques mots ?
Je dirais qu’il est pauvre dans le sens où je recycle des images : je mets en circulation ce qui existe déjà. Il est minimaliste aussi d’une certaine façon. J’adore travailler en équipe réduite et avec les mêmes collaborateurs. J’aime que ce soit familial et amical. Mes films ressemblent aussi à mes carnets de recherche : à un patchwork d’idées, d’images, de citations, de sensations.
Décrivez en quelques mots un film auquel vous rêvez.
Je rêve d’un film qui se passerait entièrement dans un jardin, quelque part très, très loin de la France.
Lilith Grasmug est une actrice autrichienne née à Paris. En 2017, elle joue dans Sophia Antipolis, de Virgil Vernier avant de travailler avec Jean-Christophe Meurisse, Carmen Jaquier, Claire Burger et Arthur Harari. Après un passage au département cinéma de l'ECAL à Lausanne, elle a poursuivi un master de recherche en art contemporain, sous la direction d’Elvan Zabunyan. Some of you fucked Eva est son premier court-métrage en tant que réalisatrice.

