L’éclat d’une fiction
Jade Barget
Come, gentle night, come, loving, black-brow’d night, Give me my Romeo; and, when he shall die, Take him and cut him out in little stars, And he will make the face of heaven so fine
That all the world will be in love with night
And pay no worship to the garish sun.
— William Shakespeare, Romeo and Juliet, Act III, Scene II
Viens, douce nuit ; viens, nuit amoureuse, le front couvert de ténèbres:
donne-moi mon Roméo ; et quand il aura cessé de vivre, reprends-le, et partage-le en petites étoiles, il rendra la face des cieux si belle, que le monde deviendra amoureux de la nuit et renoncera au culte du soleil indiscret.
— William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte III, Scène II
That all the world will be in love with night
And pay no worship to the garish sun.
— William Shakespeare, Romeo and Juliet, Act III, Scene II
Viens, douce nuit ; viens, nuit amoureuse, le front couvert de ténèbres:
donne-moi mon Roméo ; et quand il aura cessé de vivre, reprends-le, et partage-le en petites étoiles, il rendra la face des cieux si belle, que le monde deviendra amoureux de la nuit et renoncera au culte du soleil indiscret.
— William Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte III, Scène II
La violence macabre des sentiments ressentis par Juliette envers Roméo provoque en elle le désir de dépecer l’être aimé et de le projeter dans les cieux. Là-bas, il habitera la nuit, auprès des morts et des dieux. Reprenant le motif shakespearien, Andrés Baron réalise Stars, sticker night (2022). La première scène s’ouvre sur le son d’un synthétiseur, rappelant le jingle d’une série télévisée programmée en pleine nuit pour auditeurs accidentels – insomniaques ou fêtards. Ce prélude sonore s'accompagne d'une transition visuelle dramatique : un fondu sous forme d’étoile ; puis la nuit, avec sa lune en croissant, son bleu engourdissant et ses astres, peinte de manière approximative sur un décor de théâtre. Apparaît Eden Tinto Collins, décollant des gommettes en forme d’étoiles d’un papier adhésif sur lequel est imprimé son propre portrait. Le fond sonore : une batterie déclamatoire. En cinq minutes, Andrés Baron capture la nuit, rêveuse, solitaire et carnassière.
Une fiction existe à travers ses éclats. Baz Luhrmann, dans la réalisation de son film Romeo + Juliette (1996), décalque Shakespeare. Dans une scène, Roméo observe des poissons dans un aquarium. De l’autre côté apparaît un visage : celui de Juliette. Leurs regards se croisent, se détournent, puis se retrouvent. Comme le calque d’un calque, cette scène émerge à son tour dans le travail d’Andrés. Dans Fishes, transformer (2022), l’artiste retient et accentue la déformation des visages à travers la vitre et le liquide, le flou du premier plan, et ajoute un effet subaquatique au son. L'audio désoriente, comme souvent dans les films d'Andrés, donnant l’impression qu’une réalité avoisinante dégouline dans celle que l’on voit sur l’écran. Aucune fiction n’est hermétique.
L’Eden endormie de Stars, sticker night (2022) se retrouve dans Grammars (2021).
Kieu Ahn, dans Aberración Cromática (fiebre) (2019-2020), imprime son propre portrait, qu’elle colore en rouge. Comme par transfert, la peinture se retrouve sur son vrai visage.
Le couple de Printed Sunset (2017) regarde le soleil se coucher, qui se transforme en impression papier.
L’Eden endormie de Stars, sticker night (2022), retrouvée dans Grammars (2021), est imprimée sur une feuille de papier à gommettes. Eden se décolle.
Andrés Baron calque et transfère des fragments d’actions ou d’atmosphères dans de nouveaux environnements, sous de nouvelles conditions. Ses films ne s’intéressent pas à la création de mondes, à l’élaboration d’une narration, mais plutôt à la désarticulation d’un moment, en l’isolant dans un écrin filmique au format court, entre 5 et 10 minutes. Par exemple : la fin d’une chanson, l’observation du soleil, ou la nuit.
Une fois le médium libéré de son devoir de narration et d’ancrage dans un système logique, Andrés s’en empare pour travailler la tactilité de l’image, les jeux de perception, ainsi que la force évocatrice du son. Il bouscule également le fondement des images et la façon dont nous les lisons : dans ses films, les objets et leur représentation, tout comme l’image en mouvement et l’image fixe, se confondent.
Décalcomanie : le transfert d’une forme à l’aide d’un papier calque. Une coquille d’image dans son vaisseau transparent, traversant l’espace. Un clone imparfait s’insérant dans une réalité adjacente. Une dislocation.
Une fiction existe à travers ses éclats. Baz Luhrmann, dans la réalisation de son film Romeo + Juliette (1996), décalque Shakespeare. Dans une scène, Roméo observe des poissons dans un aquarium. De l’autre côté apparaît un visage : celui de Juliette. Leurs regards se croisent, se détournent, puis se retrouvent. Comme le calque d’un calque, cette scène émerge à son tour dans le travail d’Andrés. Dans Fishes, transformer (2022), l’artiste retient et accentue la déformation des visages à travers la vitre et le liquide, le flou du premier plan, et ajoute un effet subaquatique au son. L'audio désoriente, comme souvent dans les films d'Andrés, donnant l’impression qu’une réalité avoisinante dégouline dans celle que l’on voit sur l’écran. Aucune fiction n’est hermétique.
L’Eden endormie de Stars, sticker night (2022) se retrouve dans Grammars (2021).
Kieu Ahn, dans Aberración Cromática (fiebre) (2019-2020), imprime son propre portrait, qu’elle colore en rouge. Comme par transfert, la peinture se retrouve sur son vrai visage.
Le couple de Printed Sunset (2017) regarde le soleil se coucher, qui se transforme en impression papier.
L’Eden endormie de Stars, sticker night (2022), retrouvée dans Grammars (2021), est imprimée sur une feuille de papier à gommettes. Eden se décolle.
Andrés Baron calque et transfère des fragments d’actions ou d’atmosphères dans de nouveaux environnements, sous de nouvelles conditions. Ses films ne s’intéressent pas à la création de mondes, à l’élaboration d’une narration, mais plutôt à la désarticulation d’un moment, en l’isolant dans un écrin filmique au format court, entre 5 et 10 minutes. Par exemple : la fin d’une chanson, l’observation du soleil, ou la nuit.
Une fois le médium libéré de son devoir de narration et d’ancrage dans un système logique, Andrés s’en empare pour travailler la tactilité de l’image, les jeux de perception, ainsi que la force évocatrice du son. Il bouscule également le fondement des images et la façon dont nous les lisons : dans ses films, les objets et leur représentation, tout comme l’image en mouvement et l’image fixe, se confondent.
Décalcomanie : le transfert d’une forme à l’aide d’un papier calque. Une coquille d’image dans son vaisseau transparent, traversant l’espace. Un clone imparfait s’insérant dans une réalité adjacente. Une dislocation.
Jade Barget est née en 1991, elle vit et travaille entre Paris et Berlin. Pensant les éléments naturels comme médias et infrastructures, Jade Barget, curatrice indépendante, fait état de l’imagination environnementale à l’heure où les nuages s’ensemencent, le soleil se duplique, et les planètes se terra forment. Elle cogère la plateforme curatoriale XING dont le projet le plus récent, Fatal & Fallen, traite la rage et la violence révolutionnaire à travers l’étude de films d’exploitation d’Asie de l’Est. Elle est également assistante curatoriale du festival transmediale - festival for art and digital cultures, Berlin.