Questionnaire
Kieu-Anh Nguyen Phuong
Comment le cinéma change-t-il votre rapport au monde ?
Je dirais que le cinéma me place dans un temps d’attente. Un temps étiré, attentif, un temps qui m’apprend à faire confiance, à rester ouverte, poreuse, vulnérable au monde.
Que raconte votre film de votre rapport au vivant ?
Une envie de cohabitation : “être avec” plutôt que “face à”, partager un espace, des temporalités, des présences humaines et non humaines. Une relation qui se construit avec les personnes que j’ai rencontrées et avec le lieu lui-même, la ville, le parc, le ficus, dans un temps partagé.
Est-ce que vos films ressemblent à vos rêves ?
Non, au contraire. Je rêve souvent de scènes d’action rapides et rythmées, très éloignées de la lenteur de mon premier film, qui fonctionne pourtant par glissements et fragments, comme un rêve.
Quelle place donnez-vous aux fantômes dans votre travail ?
Je ne crois pas leur donner une place. Ils sont déjà là, ou bien ce sont eux qui prennent leur place.
Comment avez-vous envisagé le rapport entre le son et l’image dans votre film ?
J’ai envisagé le son comme une force de soustraction. Les mots ou la voix ne viennent pas expliquer, mais déplacer. Il ne s’agit pas de compléter l’image, mais de lui retirer quelque chose.
Décrivez en quelques mots un film auquel vous rêvez.
Au Vietnam. Un film urbain, fait de gestes simples et de moments ordinaires.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Ce qui m’inspire vient rarement du cinéma. Cela se glisse dans ce qui circule : des rencontres, des présences en marge, la famille, une résistance ou une désobéissance discrète. Des lieux, une lumière qui hésite. Des motifs qui reviennent, la répétition, l’errance. Des moments ordinaires.
Qu’attendez-vous qu’un film produise en vous ?
Une forme de tendresse, quelque chose qui me rapproche de la vie tout en m’en tenant parfois à distance, dans cette tension.
Trois mots que vous associez au cinéma ?
Tendresse, tremblement, lumière.
Quels sont les paysages de cinéma que vous rêveriez d’explorer ?
Des paysages peu mis en scène. Des moments de lâcher-prise et d’attente. Une forme de magie discrète du cinéma.
C’est quoi pour vous la magie du cinéma ou la magie au cinéma ?
La magie du cinéma tient au souffle, à une vibration qui traverse le corps et déplace le regard vers l’autre.
Quelles sont les sensations que le cinéma vous procure et que vous ne trouvez pas ailleurs ?
Faire apparaître un souvenir dont je ne me souviens plus, ou un souvenir que je crois m’appartenir mais qui n’est pas le mien.
Nguyễn Phượng Kiều Anh (1994) vit et travaille entre la France et le Vietnam. Sa pratique pluridisciplinaire, film, installation, vidéo et écriture, explore les strates enchevêtrées de la mémoire personnelle et collective. À travers des récits fragmentés et l’entrelacement de traces d’archives et de fiction, elle construit des environnements qui se déploient comme des cartographies mutables, des paysages où la mémoire et l’histoire sont sans cesse négociées et réimaginées.

