L’obsession des images 

Hlynur Pálmason





Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’art ?

Mon obsession pour les images et le son a commencé très tôt, quand j’avais treize ans à peu près. Puis, plus tard, j’ai commencé à faire de la peinture, des courts-métrages, de la photographie et à mélanger tout ça, sans savoir si j’allais finir par devenir artiste ou réalisateur. J’étais ouvert aux deux. Je suis cinéaste mais je peins et je fais aussi de la photographie. Je fais toujours la même chose que quand j’avais vingt ans. J’ai étudié au Danemark parce que je vivais sur la côte sud-est de l’Islande, loin de Reykjavik donc je ne pouvais pas rencontrer beaucoup de gens avec qui collaborer. Je ne pouvais pas mener mes projets à bien, j’avais besoin d’une équipe.

Quel a été votre premier contact avec l’art ?

Ma famille n’a aucun lien avec le milieu artistique. Je ne suis jamais allé dans un musée ou une galerie avec eux. Mes parents sont des gens de la campagne, mon père a des chevaux. Je pense que ça commencé avec le cinéma, j’ai été attiré par les films. Il y avait dans le cinéma quelque chose de différent, de personnel. Les premiers films qui m’ont sans doute marqués étaient ceux de Stanley Kubrick et notamment Orange Mécanique. Je ne crois pas l’avoir aimé à l’époque, mais c’était différent. Les sensations que ça m’avait procuré… c’était physique ! Puis, ça m’a mené à d’autres films. J’ai commencé à regarder Tarkovsky, Antonioni… J’ai vu de plus en plus de films différents et j’ai créé des liens forts avec ces films.

Comment naviguez-vous d’une pratique à l’autre ?

Quand des choses m’intéressent, au fur et à mesure que je traverse la vie, je les intègre dans un espèce de classeur mental sans savoir quelles formes elles prendront ni quelle sera la nature des projets qu’elles nourriront. Petit à petit ce classeur s’enrichit. Chez moi j’ai un grand mur avec plein de titres de projets et d’idées, mais je ne sais pas encore si ce sont des films, des installations vidéos ou des séries photographiques. Puis, avec le temps des choses émergent.

Travaillez-vous toujours en série quand il s’agit de peinture ou de photographie ?

J’enregistre des sons et des dialogues, je suis toujours en train de faire des photos, j’absorbe le monde en permanence. J’ai constamment des projets en cours que je dois revisiter. Par exemple, j’ai filmé le cadavre du cheval qui se décompose dans le film pendant deux ans. Mais avant ça, pendant quatre ans, j’ai photographié un autre cheval qui pourrissait et qui a, peu à peu, trouvé sa place dans ce long-métrage. Mes projets empiètent souvent les uns sur les autres. Par exemple, je viens de réaliser un court-métrage que j’ai fait sur deux ans, pendant le tournage de Godland. J’ai tourné ce film avec mes enfants. On ne voit pas les parents, juste les enfants qui construisent une cabane dans un arbre. Quand j’ai fini de faire ce film, j’ai commencé à penser aux parents et j’ai écrit une histoire pour eux. Je pense que mon prochain long-métrage sera cette histoire mêlée au court-métrage.

Et des images du court seront dans le long ?

Absolument. C’est comme ça que je travaille.



C’est difficile de trouver des producteurs qui vous suivent dans ce processus atypique ?
Je travaille toujours avec les mêmes personnes. Souvent, même le casting est fait de membres de mon entourage. Ce n’est pas un problème, mes deux producteurs sont toujours les mêmes et ce sont de bons amis à moi.

Pouvez-vous nous parler des photographies qui sont mentionnées en ouverture du film ?

J’ai écrit deux versions du film. La première en 2013. Elle était un peu lourde, il y avait beaucoup de dialogues, c’était très religieux. Ce n’était pas très stimulant, je n’avais même pas pris de plaisir à l’écrire. J’ai commencé à penser au personnage et à ce qu’il pourrait transporter, qui ne soit pas une croix. J’ai pensé à une chambre photographique et je me suis ensuite posé la question des images qu’il pourrait faire et des relations qu’il pourrait avoir avec ses sujets. Le récit a ensuite commencé à prendre forme autour de ces sept négatifs qui sont complètement fictionnels. Le texte qui ouvre le film fait partie de la fiction.

Vous menez donc le spectateur sur une mauvaise piste dès l’ouverture.

Je voulais essayer de plonger dans cette fiction en prenant comme principe de départ ces plaques, c’est comme ça que j’ai fabriqué le film et je voulais que les spectateurs vivent cette histoire dans le même état d’esprit.

On s’attend presque à voir les « vraies images » à la fin, bien qu’on n’en n’ait pas besoin.

J’essaie toujours de stimuler la créativité dans mes films. Si le spectateur imagine ces images je crois que c’est encore plus fort que si je les montrais. On a fait ces sept photos sur le tournage et on en utilise trois pour la promotion.

Quelles étaient vos références ?

Quand j’ai emménagé au Danemark, le peintre Per Kirkeby m’a beaucoup inspiré, entres autres à travers le film Winter's Tale de Jesper Jargil.

Parmi les oeuvres récentes, on pense un peu à Jauja de Lisandro Alonso, A Ghost Story de David Lowery et La Dernière Piste de Kelly Reichardt.

Je n’ai pas vu A Ghost Story. Mais j’aime beaucoup Jauja et j’adore les films de Kelly Reichardt. J’ai un peu la sensation d’appartenir à cette génération.

Entretien réalisé par Lucas Charrier le 15 Novembre 2022 à Marrakech. 

Hlynur Pálmason, est un réalisateur islande né le 30 septembre 1984 à Reykjavik. Godland ets son troisième film après, Winter Brothers et Un jour si blanc

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