L’héritage d’Edward Yang
Ryusuke Hamaguchi
Traduit de l’anglais par Angèle Essahli pour désordres d’après un article publié par The Hollywood Reporter.
“Après la Seconde Guerre mondiale la vie urbaine en Asie s’est nettement occidentalisée. Pour cette génération d’après-guerre, à laquelle appartenaient Edward Yang et mes parents, la richesse matérielle et spirituelle, conséquence directe de ce processus, a dû être perçu comme un coup de chance. Mais, en fin de compte, c’est aussi le traumatisme de cette rupture historique qui a été transmis à travers les générations, d'eux à nous, et aux suivantes. Ce que Yang m'a appris, c'est que la sécheresse émotionnelle observées dans les modes de vies et paysages urbains de l'Asie pouvait inspirer un cinéma extrêmement puissant. À cet égard, l'existence même de Yang et de ses films a été comme une révélation pour moi. J'imagine qu'il en a été de même pour de nombreux autres cinéastes asiatiques de la même génération. Dans ses cadrages, Yang a toujours saisi l'interaction mutuelle entre les gens et leur environnement. Pour lui, l'automaticité qui rythme la vie urbaine, à Taipei en particulier, servait à démontrer le processus d'aliénation. Cette exploration a sans doute atteint son apogée avec A Brighter Summer Day, où il dépeint parfaitement le monde comme une sorte de machine automatique qui finit toujours par nous écraser. La suite de son parcours créatif pourrait être décrite comme une lutte pour échapper à cette perfection infernale. Il a tenté d'y parvenir en utilisant des éléments comiques dans Confusion chez Confucius et Mahjong ; la question de savoir s'il y est parvenu peut être laissé à l’interprétation de chacun. Mais nul ne peut douter que Yi Yi est un autre chef-d'œuvre méconnu d'Edward Yang, qui nous plonge dans un état d'esprit très différent de celui de A Brighter Summer Day. Il a imaginé un moyen très simple de sortir du désespoir : donner à hériter. Mais à hériter quoi ? L'espoir. Il n'y a pas que les traumatismes qui se transmettent. Yi Yi est le symbole de cet espoir qu’Edward Yang à transmis aux futurs spectateurs, il nous dit que le monde vaut encore la peine d'être aimé.”