Questionnaire 

Eden Tinto Collins





Quels sont les films qui ont marqué...

    1. Votre enfance ?

Moonwalker de Michael Jackson


    2. Votre adolescence ?

I Am Not a Witch de Rungano Nyoni


    3. ma vie de jeune adulte ?

Titane de Julia Ducournau


Quels sont les artistes, cinéastes, plasticiens, musiciens, peintres… qui vous ont le plus influencé ?

Hito Steyerl, Jesse Norman, Pacôme Thiellement, Werner Herzog, Leos Carax, Sun Ra... 


Racontez-nous un souvenir de cinéma. 

Je crois que la projection du Cheval de Turin de Béla Tarr a eu lieu en 2011, un soir de Novembre. Je ne suis plus certaine dans quel cinéma, peut-être l’Arlequin à Montparnasse, je ne sais plus. Mais Béla Tarr était là et après la séance, il disait que c’était son dernier film. La salle surprise par son annonce était, non seulement remuée par le film, mais ne s’attendant pas à cette entrée en matière pour entamer un échange sur les images que nous venions de voir, comme plongé dans un silence circonspect. C’est dix ans après la projection que j’ai eu l’impression de comprendre le film, soit au courant du deuxième confinement en 2021. Disons que le film était comme une pré-vision du confinement. Béla Tarr disait après la projection qu’il ne souhaitait plus faire de film pour ne pas se répéter.

Que regardez-vous dans les films ?

Dans les films, je regarde « Le temps qui se crée », mais ça, ça m’a été transmis par la rencontre avec le metteur en scène Éric Didry en 2018, lorsque je travaillais comme serveuse au bar du Théâtre de La Bastille, il m’avait invité à venir voir La Loi du marcheur, une pièce qu’il avait mis en scène, qui était en fait un seul en scène de Nicolas Bouchaud qui rejoue les entretiens entre Serge Daney et Régis Debray.


Quels sont les films qui vous habitent ?

En général, lorsqu’un film est réussi, ou qu’il fonctionne sur moi, je m’identifie à des sentiments dans le film, des personnages ou au point de vue, à la narration. En sortant de la salle, j’habite encore son univers. Par exemple le dernier film d’Alice Diop, Saint Omer m’a fait cet effet. En même temps, je dois dire que le sujet me parle intimement, j’ai beaucoup écrit sur l’archétype de Médée, ça a donné lieu dans mon travail à des performances, à de la musique et à un film d’art (L’effet Casimir visible sur la plateforme re.act.feminism). 


Dans quels films aimeriez-vous habiter ?

Je pense que j’aimerais habiter dans des films de science-fiction, des univers qui n’existent pas encore, où explorer l’absurde, l’incompréhension et où mettre en parallèle la multiplicité de nos langages face à la fin du langage (qui occupait beaucoup les réflexions tardives de Jean-Luc Godard) serait des forces de narration non linéaires et motrices. J’imagine un futur dans lequel se réalsieraient beaucoup de collaborations originale, comme  un remix des Enfants du Paradis coréalisé par Claire Denis et Liv Schulman, une mise en scène de l’univers d’Octavia E. Butler porté à l’écran par Andrès Baron et Quentin Dupieux…

À votre avis, pourquoi le cinéma est-il un art si populaire ?

C’est le fait que par l’illusion de la projection on puisse avoir l’impression par empathie de vivre une expérience. C’est tout de même le fruit complexe d’une longue alchimie de connaissances mises en partage. Je reste confiante vis à vie de cet art.







Pourquoi et pour qui faites-vous du cinéma ?

Faire du cinéma, c’est assurer un minimum de psychanalyse pour soi, et pour les autres, tout le monde n’a pas l’envie, ni même les moyens, le temps, ou l’argent d’aller en thérapie, d’explorer ses zones troubles ou de simplement se raconter et pourtant, nous vivons en société, dans un maillage aux dynamiques et relations complexes, interconnectées. En fait, j’ai toujours eu peur du cinéma, petite, mon père me disait souvent que la vie n’était pas comme dans les films. Il avait bien senti que j’absorbais les images un peu trop sérieusement, les répliques, les attitudes de jeu des interprètes, les dénouements des scénarios. Plus tard, avec un répertoire de films en tête, des attitudes et des dénouements que moi et mes ami.e.s imaginaires espéraient encore et toujours joyeux, on aura encore eu peur du cinéma, de ses moyens ostentatoires, de son marché, de son industrie… Et pourtant, l’envie de se raconter, de se voir pour mieux se comprendre ne cessait de nous habiter. Mais les milieux ne sont pas faciles, très compétitifs, souvent, les notions de soins se retrouvent broyées par l’aspect socio-économique de nos réalités. Je me rappelle, une fois avoir été contacté par Yann Gonzales pour potentiellement interprété le rôle d’une dominatrice en shibari au côté de Vanessa Paradis dans Un couteau dans le cœur. J’étais encore en étude aux beaux arts, je naviguais à vue, à travers un avenir flou et une situation chaotique. Je n’avais jamais été autant précaire. Je revenais d’un voyage assez marquant au Ghana, j’avais rencontré une partie de ma famille et mon grand-oncle avec qui je restais en contact m’avait dit un peu comme il sait le faire parfois en partageant ses visions (prophétiques), « ne joue pas dans le film ». J’avais relevé son injonction sans trop la comprendre, comme souvent, dans la vie, on voit apparaître des signes et puis on fait avec, même en faisant sans… Et puis qu’est-ce que ça voulait dire de moi, qu’un réalisateur puisse me proposer ce rôle ? Et de nos imaginaires ? De nos façons de prendre de la distance… de se raconter ? Je crois que les choses se font en communauté d’appartenances sensibles, esthétiques et imaginales, pour reprendre un truc que l’on dit beaucoup dans les applications de rencontre, il faut que « ça matche ». Finalement dans le cinéma, ma présence nuance les représentations des corps noirs, des corps féminins, non binaires, je crois que j’ai quelque chose au fond de moi qui souhaite échapper à l’attendu, qui va dans le sens de ce que j’ai trouvé dans les rayons du cinéma expérimentale, qui ne cherche pas l’ostentatoire... Simplement (re-)raconter des histoires nécessaires à l’ensemble des parties qui me constituent et par les images ainsi régénérer nos cellules.


Ce serait quoi une bonne image de cinéma ?

Avec une amie Paola, on était allé voir Pina de Wim Wenders en 3D. En sortant on s'extasiait de cette 3D qui pour la première fois nous semblait juste. Je n’ai jamais revécu exactement cette sensation depuis, mais je me rappelle d’une expérience en VR qui m’a beaucoup marqué lors d’une visite de la Biennale de Venise en 2022, avec Cathedral of the Body d’Adina Pintilie, qui nous plonge littéralement, devrais-je dire virtuellement, dans la peau de corps avec qui l’on connecte par empathie, par désir de « jouer »… C’est une pièce encore en processus de création si j’ai bien compris, mais j’ai toujours imaginé que le cinéma évoluerait dans sa capacité d’interaction avec son public, que les films auraient plusieurs versions en fonction du désir de jeu des spectateur.ice.s. Cela donnerait lieu à des films peut-être moins personnels, qui se rapprocheraient de l’intelligence collective, et donc demanderaient une anticipation tout aussi grande en amont. Cette façon de faire me parle beaucoup. J’imagine un film/jeu autour de la danse et qui se passe dans le metaverse.




Eden Tinto Collins (Elle/iel/nous) a amplifié sa pratique des arts plastiques en passant par l’École nationale des beaux-arts de Paris Cergy.
Poéticienne, hypermédias, ou – Trobairitz, Méta, elle explore les notions de réseaux et d’interdépendance, les f.r.ictions entre mélancolie, mythologie, post-trans, voir cyber-humanité, ses discours sont imaginales, ses dispositifs relationnels et noétiques (pour mettre en relation la pensée et l’esprit).