Questionnaire

David Thion




Quels sont les films qui ont marqué...

1. Votre enfance ?

J’habitais une petite ville de province et mes parents étaient peu cinéphiles. Ma mère (ou parfois ma tante) m’emmenait voir les films Disney. Je me souviens tout particulièrement d’avoir vu à la télévision ou au cinéma Bambi, Le livre de la jungle, Peter Pan, La belle et le clochard et Les Aristochats. Puis, quelques années plus tard, j’ai découvert Tron, E.T., Indiana Jones, Gremlins, À la poursuite du diamant vert, etc. Rien de très original et que des films américains.


2. Votre adolescence ?

Mon adolescence a été marquée à nouveau par les films en langue anglaise, principalement américains. Mon cousin avait co-fondé Starfix en 1983. J’étais un lecteur assidu de cette revue, et je voyais indifféremment au cinéma, en VHS ou à la télévision les films des cinéastes défendus par la rédaction : John Carpenter, Brian de Palma, David Cronenberg, Sam Raimi, Wes Craven, Peter Weir, George Miller, etc. Je suivais également La Dernière Séance, l’émission culte présentée par Eddy Mitchell, diffusée sur France 3 le mardi soir et dont la programmation était, là encore, consacrée aux films américains : de nombreux westerns, des films d’aventure, des films noirs, des films fantastiques constituaient l’essentiel de la programmation. Ils étaient réalisés entre autres par Michael Curtiz, Robert Aldrich, Jack Arnold, Robert Wise, Delmer Daves, André de Toth, John Huston ou John Sturges. Mes cinéastes préférés étaient John Ford, Raoul Walsh, Fritz Lang, Anthony Mann, Alfred Hitchcock, Nicholas Ray et Samuel Fuller. Aujourd’hui encore, ces derniers font partie de mes cinéastes de prédilection.

Quelques films marquants :

The Grapes of Wrath, My Darling Clementine, The Man who shot Liberty Valence de John Ford
They died with their boots on, Gentleman Jim, The Naked and the Dead de Raoul Walsh
— Les cinq westerns d’Anthony Mann avec James Stewart et Man of the West avec Gary Cooper
While the City Sleeps, Rancho Notorious, Moonfleet de Fritz Lang
Run of the Arrow, The Big Red One de Samuel Fuller
Notorious, The Birds, Vertigo d’Alfred Hitchcock
Shining de Stanley Kubrick
Fat City de John Huston
The Deer Hunter, Year of the Dragon de Michael Cimino
The Godfather 1 & 2 de Francis Ford Coppola
Duel de Steven Spielberg
Wild River d’Elia Kazan
The true Story of Jessie James, Party Girl, Wind Across the Everglades de Nicholas Ray
Ulzana’s Raid de Robert Aldrich
Assault on Precinct 13 de John Carpenter
Mad Max de George Miller
The Pink Panther, A shot in the Dark de Blake Edwards
To Be or not to Be, Trouble in Paradise d’Ernst Lubitsch
The Kid, The Great Dictator de Charlie Chaplin
Stars in my Crown de Jacques Tourneur


3. Votre vie d’adulte ?

À l’entrée dans l’âge adulte, je regarde Le cinéma de Minuit, la célèbre émission de Patrick Brion et je lis le Dictionnaire du cinéma de Jacques Lourcelles, L’art d’aimer de Jean Douchet et Les chroniques de Pauline Kael. Mon horizon s’élargit à d’autres cinématographies (européennes et asiatiques principalement) même si je continue à approfondir la filmographie de cinéastes américains que j’aime. En France, je me familiarise avec Jean Renoir (qui demeure mon réalisateur français préféré), je découvre les cinéastes de La nouvelle vague, mais aussi Maurice Pialat, Robert Bresson, Jean-Pierre Melville, et d’autres un peu moins célèbres  tels Philippe Garrel, Jean Eustache, Alain Tanner ou Jacques Rozier. Dans le reste du monde, c’est surtout le cinéma italien (Luchino Visconti, Roberto Rossellini, Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, Vittorio de Sica, Marco Bellochio…), le cinéma allemand et scandinave (Max Ophüls, R.W. Fassbinder, F.W. Murnau, Ingmar Bergman, Carl Dreyer, Victor Sjöström, Bo Widerberg…) et le cinéma japonais (Kenji Mizoguchi, Yasujiro Ozu, Mikio Naruse…) qui me passionnent. C’est à partir de cette culture somme toute assez classique que mon goût s’est formé et que je me suis progressivement intéressé aux cinéastes contemporains (Edward Yang, Paul Thomas Anderson, David Fincher, Michael Mann, Lars von Trier, James Gray, Abbas Kiarostami, Hou Hsiao-hsien, Jia Zangke, entre autres).

Quelques films marquants :

La maison des bois de Maurice Pialat
Ordet, Gertrud de Carl Dreyer
Imitation of Life de Douglas Sirk
Voyage en Italie, La prise de pouvoir par Louis XIV de Roberto Rossellini
Tea and Sympathy de Vincente Minnelli
Senso de Luchino Visconti
La rue de la honte de Kenji Mizoguchi
Nuages d’été, Nuages flottants de Mikio Naruse
Licorice Pizza, Phantom Thread de Paul Thomas Anderson
Yi Yi d’Edward Yang
La règle du jeu, Le fleuve de Jean Renoir
No country for old men de Joel & Ethan Coen
Zodiac de David Fincher
Honkytonk Man, A perfect World de Clint Eastwood
Adalen 31 de Bo Widerberg
The Dead de John Huston
Vincere de Marco Bellochio
Nymphomaniac de Lars von Trier
Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee
La trilogie de Koker d’Abbas Kiarostami
Val Abraham de Manoel de Oliveira
La guerre des mondes de Steven Spielberg
Les fraises sauvages d’Ingmar Bergman
L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville
Charulata, Le lâche de Satyajit Ray
L’enfant sauvage de François Truffaut
Il était une fois en Amérique de Sergio Leone
Journal d’un curé de campagne, Mouchette de Robert Bresson
Anatomy of a Murder d’Otto Preminger
Bouge pas, meurs et ressuscite de Vitali Kanevski
L’enfant aveugle de Johann van der Keuken
Serpico, Running on Empty de Sidney Lumet
Au bord de la mer bleue de Boris Barnet
Belle de jour de Luis Bunuel
Seventh Heaven de Franck Borzage
10 Rillington Place, The New Centurions, Mandingo de Richard Fleischer
Le hasard de Krzysztof Kieslowski
An Affair to Remember de Leo McCarey
L’aurore de F.W. Murnau
Four friends d’Arthur Penn
Magnificent Obsession de John Stahl / Magnificent Obsession de Douglas Sirk

Racontez-nous un souvenir de cinéma, une rencontre avec un film ou un cinéaste, quelques heures passées dans un film dont vous vous souviendrez toujours, une histoire plus ou moins intime liée à une projection.

« Presque tout peut être cousu dans la doublure d’un manteau. Petit, je me suis mis à dissimuler des choses dans les vêtements. Des choses dont moi seul connaissais l’existence. Des secrets. »

Au mois de février 2018, je suis allé voir Phantom Thread au Majestic Bastille en compagnie d’une femme (mariée à un artiste) dont j’étais éperdument amoureux. Nous avons regardé le film en nous tenant par la main comme le font certains jeunes couples. La projection s’est achevée. Nous sommes sortis dans la rue, c’était un soir d’hiver, plutôt doux et calme. Nous sommes restés muets tous les deux. En remontant en silence les trottoirs de la rue Sedaine, j’ai pensé à ce miroir que le film lui tendait indirectement. J’étais bouleversé, et j’ai compris à cet instant qu’elle ne quitterait jamais son mari, même si cette relation la faisait, tout comme Alma, souffrir.

Que regardez-vous dans les films ?

Le cadre, le sens de l’espace, l’agencement des plans et le rythme du film. La sensibilité de l’auteur, la manière dont le discours narratif et critique se construit. « Tout art doit critiquer quelque chose », selon Fritz Lang. Et bien évidemment, la manière dont les acteurs évoluent dans cet ensemble.

Quels sont les films qui vous habitent ?

En ce moment, c’est surtout Un beau matin de Mia Hansen-Løve. Le film est terminé, il a été présenté au festival de Cannes où il a reçu un prix, il enchaîne les festivals nord-américains les plus prestigieux (Telluride, Toronto, New-York, etc.) et sort en salle le 5 octobre. Il y a aussi le très beau film d’Annie et David Ernaux, Les années Super 8, également montré à Cannes, dont la sortie en salle est prévue le 14 décembre prochain, en même temps qu’Avatar 2.

Pour répondre de manière moins spécifique à cette question, cela dépend des moments de la vie, mais tous les films que j’ai cités précédemment font partie de ma vie, ils sont des compagnons de route (tout comme les films que j’ai produits d’ailleurs). J’ai aimé les voir, et la plupart d’entre eux, j’ai du plaisir à les revoir.

Dans quels films aimeriez-vous habiter ?

À l’abordage de Guillaume Brac, L’enfant sauvage de François Truffaut, Mon voisin Totoro d’Hayao Miyazaki. Des films sur l’enfance, sur la jeunesse.

Qu’est ce qui vous émeut au cinéma ?

Je citerai un exemple : les premier et dernier plans du film de The Man who shot Liberty Valence, où l’on voit le train qui amène le sénateur et sa femme dans une petite ville de l’Ouest pour assister à l’enterrement de Tom Doniphon, suivant deux boucles symétriques qui forment comme la parenthèse qui a rendu possible le récit : parcourir d’abord une terre aride, puis une terre cultivée et prospère. L’arche du film c’est la constitution d’une société politique, qui fait le choix de substituer à la violence primaire le droit et la loi. Progrès notable, appréciable, et pourtant ces deux séquences baignent dans la mélancolie, voire dans une certaine amertume. Pourquoi ? Toute la complexité, l’ambiguïté du film réside dans le choix de John Ford de montrer à la fois les faits bruts et la légende. Seuls les poètes et les artistes parviennent à restituer le caractère presqu’insaisissable de toute vérité.

C’est quoi les meilleures conditions pour voir un film ? Avez-vous des rituels, des habitudes de spectateur ?

Une bonne salle de cinéma, si possible dans l’axe de l’écran et à une distance permettant d’embrasser l’écran d’un seul coup d’œil.

Qu’est ce que la fabrication des films a changé dans votre rapport au cinéma ?

J’essaie de rester un spectateur comme un autre, en m’efforçant, lors de la première vision, de ne pas analyser un film avec l’expérience de la fabrication. Découvrir un film doit rester une expérience sensible, qui n’exclut pas la réflexion. Lorsque je commence à m’intéresser à des questions techniques, à la manière dont le film a été fabriqué, c’est un signe d’ennui.

Quel film auriez-vous aimé produire ?

La maison des bois de Maurice Pialat (en l’occurrence un feuilleton pour la télévision) et, plus récemment, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari.

Est-ce que le cinéma sert à mettre de l’ordre dans votre vie ?

D’une certaine façon, oui. Toute activité créative, artistique, consiste à mon sens à mettre en ordre ses obsessions. Même si je ne suis pas un artiste, il me semble que produire des films d’auteurs que l’on aime, c’est à la fois se donner un but et ordonner sa vie quotidienne en fonction de ce but.
David Thion dirige avec Philippe Martin la société de production Les Films Pelléas. Il a notamment produit des films de Christophe Honoré, Mia Hansen-Løve, Justine Triet, Pierre Salvadori, Serge Bozon, Katell Quillévéré et Axelle Ropert.

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