Questionnaire 

Clément Pérot



Quels sont les films qui ont marqué...
    1. Votre enfance ?

Ma première expérience de la salle de cinéma, c’était devant Le Magicien d’Oz de Victor Fleming. J’étais très jeune. Mais de mon enfance, je me souviens surtout du placard chez mes parents débordant de cassettes vidéos, les VHS. C’était la fin des années 90. A l’époque nous n’achetions pas les cassettes des films car c’était cher, alors régulièrement nous enregistrions les films qui passaient à la télévision avec des cassettes vierges pour pouvoir les regarder plus tard. Quand nous en avions marre d’un film, nous en enregistrions un nouveau par dessus, ce qui pouvait donner lieu à des drames si nous n’avions pas demandé l’accord à toute la fratrie. J’ai été bouleversé par Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert, à chaque fois que je regardais ce film je m’écroulais en larmes, sans comprendre pourquoi ni poser des mots sur ce je ressentais lors de certaines scènes, notamment la dernière. Je me souviens également avoir beaucoup vu les films de Jacques Tati.

2. Votre adolescence ?

Mon premier choc cinématographique, c’était devant Hiroshima mon amour d’Alain Resnais. J’avais 15 ans, le cinéma ne faisait à ce moment là pas partie de mon horizon. Un professeur de mon lycée avait emmené toute la classe le voir au cinéma. Je me souviens avoir ressenti un choc si violent qu’il s’est d’abord traduit par un rejet total du film. Je l’ai détesté pendant un an, d’autant plus que les images d’Alain Resnais et les mots de Marguerite Duras me hantaient. Un an plus tard, je l’ai revu et je me souviens alors avoir été de nouveau bouleversé, puis profondément et durablement transformé par ce film. Jamais je n’avais eu le sentiment que des images, des sons et des mots pouvaient posséder une telle force. C’est avec ce film que j’ai eu envie de comprendre le cinéma. Je pense que Hiroshima mon amour a été pour moi comme une sorte de « premier amour », qui m’a longtemps habité comme un fantôme. Je pense un peu moins à ce film aujourd’hui.

3. Votre vie d’adulte

Au début de ma vie d’adulte, j’ai dévoré des cinéastes comme Ingmar Bergman (Sonate d’automne, Cri et chuchotements, Persona, etc.), Andreï Tarkovski, Sharunas Bartas, John Cassavetes, Rainer Werner Fassbinder, Michelangelo Antonioni (L’Avventura, Le Désert rouge, Zabriskie Point, etc.). Puis Pier Paolo Pasolini (Mamma Roma, Accattone, etc.), le néoréalisme italien et Roberto Rossellini (Rome année zéro, Stromboli, etc.), Federico Fellini (La Strada, etc.), Apichatpong Weerasethakul, Bruno Dumont (L’Humanité, La Vie de Jésus), Miguel Gomes, Pedro Costa, Wang Bing, Maurice Pialat (L’enfance nue), Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro, Les Merveilles, etc.).

Citez un film que vous associez… 

À une musique : 

Les Saisons d’Artavazd Pelechian, dont la forme est elle-même musicale.

À une couleur :

— L’intensité du bleu de Blue de Derek Jarman.

À un visage :

— Celui sombre et douloureux de Vitalina Varela de Pedro Costa.

À une lumière : 

La douceur de celle du nord dans Hors Satan de Bruno Dumont.

À un lieu :

  Les tours qui poussent parmi les friches dans Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini.

À un vêtement :

Les bottes dans Sans toit ni loi d’Agnès Varda.

À un son : 

Le bang dans Memoria d’Apichatpong Weerasethakul.

Au silence :

Le mutisme de Few of Us de Sharunas Bartas.

Au désordre :

Le dérèglement progressif de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman.

Que regardez-vous dans les films ?

Surtout les visages des personnages et les choses infimes qui les accompagnent : un léger tressaillement, un mouvement presque imperceptible dans un corps. Mais aussi les lieux dans lesquels ils s’inscrivent, les petits détails et les micro-actions, parfois même les simples variations du vent, de la lumière. J’écoute également beaucoup, l’épaisseur des voix, les sons qui habitent un lieu.

Qu’est-ce qui vous émeut au cinéma ?

Les visages. Les mystères.

Qu’est-ce qui vous impressionne au cinéma ?

Les films qui prennent leur temps et qui réussissent à capter des fulgurances, souvent des imprévus qui surgissent dans le réel ou dans le jeu des acteur·ices, des moments de grâce.

Quels sont les films qui vous habitent ?

Les films que j’aime, suivant les périodes de ma vie. Mais aussi les films que j’imagine. Ce sont des films qui n’existent que dans ma tête, ils y vivent en secret.

Dans quels films aimeriez-vous habiter ?

Dans Brèves rencontres de David Lean. La campagne anglaise, les quais de gare embrumés, il y a quelque chose d’enveloppant dans cette atmosphère, de feutré.

Est-ce que vos films vous ressemblent ? 

Oui, même si j’aimerais ne pas leur ressembler !


Qu’est-ce qui est cinégénique à vos yeux ?

Les visages, les corps et les lieux qui semblent porter quelque chose en eux, qui sont traversés par quelque chose qui relève de l’impalpable.


Décrivez en quelques mots un film auquel vous rêvez.

En ce moment, je « rêve » beaucoup mon prochain film, celui que je suis en train d’écrire. Je rêve ses visages, ses lieux et ses paysages, ses atmosphères sonores, sa lumière.

On se demande souvent si un cinéaste à des choses à dire, mais on se demande moins systématiquement s’il a des choses à montrer, des sensations à partager, des émotions à communiquer. Vous avez la sensation d’avoir des choses à dire ou vous aussi vous trouvez ça réducteur ?

J’ai le sentiment d’avoir des choses à exprimer, bien plus que des choses à dire. Mon rapport au cinéma, à l’art et aux formes est avant tout sensoriel et émotionnel, ce qui bien sûr n’exclut pas une pensée critique ou politique dans la mesure où le cinéma, les images et les récits façonnent notre rapport au monde, notre lecture du réel. Mais je pense que le cinéma devrait se méfier du discours.

La frontière fiction/documentaire vous en faites quoi ?

Cette hybridité entre la fiction et le documentaire est au coeur de mon travail, et je pense qu’elle y sera toujours. Non pas par posture, mais car j’ai le sentiment que la frontière entre le réel et la fiction est poreuse, y compris dans notre quotidien. Nous portons des fictions dans notre rapport au réel, aux choses, au monde et aux autres.


Avec quelles autres pratiques artistiques votre travail dialogue-t-il le plus ?

La photographie, la peinture, l’installation.

Que trouvez-vous dans les autres formes d’art que vous ne trouvez pas au cinéma ?

J’y rencontre d’autres rapports aux formes, aux récits, au mouvement, au temps. Comme j’ai fait mes études aux Arts décoratifs et aux Beaux-Arts, je suis très sensible aux autres arts et notamment aux formes hybrides et poreuses, qui évoluent entre les médiums et les champs artistiques, qui font fi des genres et des frontières. Les autres formes d’art sont parfois propices à des dispositifs moins autoritaires que celui de la salle de cinéma.

Quels sont les artistes qui vous inspirent ?

J’aime beaucoup le travail de Valérie Jouve, Walker Evans, Dorothea Lange, Mohamed Bourouissa, Rineke Dijkstra, etc. En littérature, Bernard-Marie Koltès, William Faulkner, Annie Ernaux, Jean Genet, etc. Mais aussi les contes et récits populaires, ainsi que la photographie vernaculaire, qui est très importante pour moi.


Clément Pérot est artiste et réalisateur, diplômé de l’Ensad puis des Beaux-Arts de Paris en 2022. À travers des formes hybrides dialoguant entre image, écriture littéraire et installation filmique, sa pratique s’inscrit dans des lieux en marge de notre société et marqués par l’histoire des classes populaires et ouvrières. Dans la tête un orage est son premier film documentaire. Il développe actuellement l’écriture d’un film de fiction.

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