À l’os 

Andrea Arnold



Comment est née l’envie de faire Cow ?

J’ai toujours aimé la nature, j’ai grandi à la campagne et je m’en suis toujours senti très proche. On sortait très souvent avec mes parents. J’ai développé une relation avec le monde naturel qui ne m’a jamais quitté. Mais en grandissant je m’en suis éloignée et en m’installant en ville j’ai pu me sentir déconnectée par moments. Ça me dérangeait beaucoup. Quand vous habitez en ville la nature n’est pas « là », elle est « là-bas ». Je me suis mise à réfléchir à cette séparation qui existe et au fait que nous consommons autant de viande. Ce qu’on voit dans les films et dans les livres est souvent très idéalisé mais je me posais la question de savoir quelle était la réalité. Dans mes films, je suis toujours rivée à un seul personnage. J’ai toujours été persuadée qu’en se contentant de suivre quelqu’un on pouvait entrer en empathie avec ce personnage et je me suis demandée si la même chose était vraie pour les animaux. En les observant suffisamment longtemps pouvait-on percevoir leurs sentiments, leur conscience, leur vie intérieure ? J’ai donc décidé, comme une expérience, de tenter d’appliquer le même processus que sur mes autres films.


Combien de temps a duré le tournage ?

À peu près trois ans. On a tourné beaucoup de choses qui ne sont pas dans le film.

Qu’avez vous appris en faisant ce film ? Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans ce que vous décrivez de la conscience animale ?

J’ai toujours été très proche des animaux donc j’ai toujours su qu’ils avaient des personnalités distinctes. Je pense que c’est pratique pour nous de penser aux animaux de ferme comme des choses sans conscience. Les gens sont dégoûtés à l’idée qu’on puisse manger des chiens mais quand il s’agit d’animaux de fermes c’est différent. Tout dépend de comment ces animaux servent notre mode de vie.


Dans le film, tout ne nous est pas expliqué, le contexte n’est pas clairement établi dès le début. Il y a très peu de plans larges par exemple qui donneraient des indications sur la façon dont est organisée la ferme.

Ça m’était toujours très étrange de m’éloigner des animaux et j’avais l’impression que ça ne rendait service ni au film ni au spectateur. Je voulais être pure. J’ai même émis l’hypothèse de retirer toutes les voix humaines ou de les étouffer pour les rendre presque inaudibles. Les vaches ne comprennent pas ce que les fermiers disent et je ne voulais donc pas que le spectateur comprenne aussi. Quand ils ont fait les sous-titres ça m’a beaucoup gêné, j’avais l’impression de trop expliquer. Mais on ne pouvait pas non plus se passer de certaines informations cruciales comme le fait qu’elle soit enceinte par exemple.


Vous parlez de pureté. Ce film semble être motivé par une énergie de pur cinéma. C’est une expérience nouvelle pour nous mais pour vous on a la sensation que c’est un geste qui s’inscrit complètement dans la continuité de votre filmographie, et qui va encore plus loin, à l’essentiel, à l’os.

Je pense en effet que ce film vient d’un endroit de pureté totale et de vérité absolue. Il m’est très cher. J’ai toujours pensé que c’est en montrant sans expliquer qu’on implique le spectateur. On vous donne quelque chose pour lequel il vous faut à votre tour travailler. Tout ne vous est pas donné vous devez vous aussi en tant que spectateur faire un pas vers le film. C’est le cinéma que j’aime. Quand il me fait travailler.


Où situez-vous Cow parmi vos précédents films ?

Je pense qu’il est très proche de ce que j’ai fait avant, en particulier de Milk.

Avez-vous l’impression d’avoir fait un film radical ? 

Je n’ai pour ma part jamais vu de film similaire. Mais je le vois plus comme une expérimentation, bien que les gens me disent que c’est en effet un film radical.

Ce qu’il y a d’impressionnant dans Cow c’est de constater à quel point un dispositif d’apparence aussi simple peut nous captiver du début à la fin. Avez-vous toujours été convaincue que vous n’aviez pas besoin d’en faire beaucoup pour que le résultat soit aussi puissant ?

Non, j’ai simplement choisi de m’arrêter sur des éléments qui me fascinaient. Ensuite vous faites le pari que le spectateur verra ce que vous avez vu. Vous décidez de lui faire confiance.


Avez-vous écrit avant de tourner ?

Non, je me suis simplement contentée de suivre cette vache.


Comment l’avez-vu choisie ?

J’ai trouvé qu’elle avait une très belle tête. Je voulais qu’on puisse la reconnaître dans la foule. Quand vous voyez un troupeau vous ne voyez qu’un troupeau et j’avais besoin de montrer un individu.


Les fermiers vous ont-ils donné des indications sur sa personnalité ?

Oui il m’ont dit qu’elle était fougueuse et qu’elle avait mauvais caractère, ce qui est toujours bon signe !


Comment avez-vous trouvé la forme du film ?

En regardant des vidéos de vaches je me suis aperçue de la beauté de leurs têtes. L’essentiel était donc de se placer à hauteur des yeux.


Combien étiez-vous dans l’équipe ?

Nous étions une toute petite équipe, moi, la chef opératrice et parfois un ingénieur du son.


Était-ce libérateur ?

Après avoir tourné avec une équipe de 400 personne sur Big Little Lies vous voulez dire ? (rires) C’est très différent. J’aime les deux, tout dépend de ce que vous voulez faire. Au début je voulais être seule à filmer et passer du temps avec les vaches mais je n’ai pas pu le faire, j’étais beaucoup trop occupé à ce moment-là. Je le regrette un peu. J’avais aussi le fantasme de tourner en pellicule mais là aussi c’était trop compliqué. La pellicule à quelque chose de vivant qui fait sens quand vous filmez la vie au présent sans savoir ce qui va advenir de vos personnages. L’argentique à cette qualité là, de la vie au présent. C’est Walter Murch qui a dit : Si vous filmez une chaise dans une pièce vide en pellicule le spectateur se demande ce qui va se passer alors que si vous filmez la même chaise en numérique le spectateur se demande qui a quitté la pièce. » Il y a du vrai là-dedans. La pellicule à quelque chose d’organique.


Le film est très dur et cru mais aussi lyrique et lumineux.

Les vaches sont belles et les quelques beaux moments qu’elles vivent sont réels. Leurs vies sont dures mais ces moments existent malgré tout.

Entretien réalisé par Lucas Charrier en Juillet 2021 à Cannes. 
Andrea Arnold est une réalisatrice et scénariste britannique née le 5 avril 1961 à Dartford. Elle a notamment réalisé Fish Tank, Les Hauts de Hurlevent et American Honey.  

︎︎︎ filmographie